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efforts récens de M. Schneider, ni sa complicité avec leur désir d’un régime nouveau, ils savaient son nom et les grèves du Creuzot ; ils voyaient son grand-cordon, attache éclatante à l’Empire. Pour les uns il était le dignitaire d’un régime condamné, pour les autres le représentant de l’oligarchie capitaliste. Socialistes et révolutionnaires qui tout à l’heure avaient subi malgré eux l’influence pacificatrice de Gambetta sentent l’instant venu d’y échapper. Leurs protestations commencent le bruit, qui aussitôt couvre la voix du président, s’augmente par les efforts de ceux qui réclament à grand cris le silence, et devient tel que Gambetta essaie vainement cette fois de dominer le tumulte, en annonçant l’arrivée de la commission. Les hommes de violence poursuivent leur avantage. Plusieurs ont glissé le long des colonnes qui soutiennent les tribunes et sautent déjà dans la salle. En même temps, la foule qui avait consenti à s’arrêter aux portes, et que le calme de l’assemblée maintenait jusque-là dans le respect, se sent rétablie dans son droit et appelée par le tumulte, dont elle veut sa part. Elle se précipite par toutes les issues, remplit l’enceinte, pousse hors de leurs sièges les députés, couvre la tribune, monte au bureau, et en chasse M. Schneider.

Avec le président, avec l’assemblée elle-même qui s’est évanouie à sa suite, l’espoir d’obtenir par des moyens légaux le changement de pouvoir a disparu. La gauche parlementaire a été vaincue par le parti de la révolution violente. Déjà des orateurs de réunions publiques, des meneurs de groupes sont en nombre autour de la tribune, qu’ils se disputent, et réclament d’abord la déchéance. Ce parti va la prononcer lui-même, c’est-à-dire se désigner comme le successeur, car en droit politique, à l’inverse du droit ordinaire, celui qui tue hérite. Les députés républicains, demeurés seuls sur leurs sièges, voient le danger. Gambetta s’empare de la tribune ; le prestige de son nom, la curiosité que la masse a de l’entendre imposent encore un instant le silence. Au nom des députés républicains, il déclare que « Louis-Napoléon Bonaparte et sa famille ont à jamais cessé de régner sur la France. »

Aussitôt les mêmes voix qui ont réclamé la déchéance s’élèvent : « La République ! Le nouveau gouvernement ! » Déjà des listes circulent. Mais cette besogne est menée par les comparses de la démagogie. Ses véritables chefs ne sont pas là. Jules Favre et Gambetta le constatent ; ils se demandent si ce jeu de petits papiers n’est pas pour retenir à la Chambre la gauche parlementaire, tandis qu’ailleurs le parti révolutionnaire se saisirait du pouvoir réel. La Chambre violée n’est plus qu’un sépulcre vide : c’est à l’Hôtel de Ville que toute révolution sacre ses chefs. Déjà