Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/819

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chaussée-d’Antin qui fut poussé jusqu’au milieu du pont, une masse considérable d’hommes avec ou sans armes, tous en uniforme ou en képi, tous parvenus là sans autre droit que leur volonté d’y être, tous adversaires de l’empire.

A peine installés, ils commencèrent à se plaindre que la garde immédiate de l’Assemblée fût confiée à la police, qu’on vit seulement le long des grilles l’uniforme des gardes municipaux et des sergens de ville ; ils réclamaient à haute voix cette place pour la garde nationale, ils criaient que ce poste aurait dû être donné au bataillon massé devant eux, et inutile sur le pont. Flatté du rôle qu’on lui offrait, le bataillon de la Chaussée-d’Antin partagea bientôt les mêmes désirs. Ils furent transmis du pont au Palais par des billets nombreux : gardes et manifestans avaient sur les députés de la Seine les droits de l’électeur sur l’élu. Quand la séance fut suspendue, quelques députés de la gauche vinrent sur le pont pour interroger de vive voix l’opinion, et, selon la coutume, les plus ardens répondirent pour tout le monde. Les députés rapportèrent ces sommations à d’autres de leurs collègues : soit crainte sincère d’un conflit et espoir loyal de l’éviter par une concession, soit dessein de tenir la Chambre sous la pointe émoussée des baïonnettes intelligentes, plusieurs membres de la gauche entourèrent le général de Caussade et lui représentèrent que la vue des sergens de ville exaspérait la foule et même le 6e bataillon de garde nationale, résolu pourtant à protéger la Chambre. Ils affirmaient que le général apaiserait et sauverait tout s’il faisait disparaître cette cause de discorde et montrait à la foule la garde nationale autour de l’Assemblée.

Le général se laissa convaincre. Il donna l’ordre aux sergens de ville de se retirer. En vain les commissaires de police tentèrent d’énergiques représentations. Les autorités sans équilibre compensent leur faiblesse envers les uns par leur rudesse envers les autres. Le général répondit qu’il ne s’agissait pas de discuter mais d’obéir. Les sergens de ville qui étaient en bataille le long de la grille, ceux qui étaient sur le pont, devant la garde nationale, partirent avec les officiers de paix et les commissaires. Aussitôt le G** bataillon les remplaça près des grilles, et lui-même démasqua la masse des manifestans en uniforme qui derrière lui couvrait la moitié du pont.

Cependant, les habitués des tribunes, journalistes et politiciens, s’étaient, dès la suspension de la séance, répandus dans le Palais. La curiosité prit quelques-uns d’abord de voir ce que faisait la foule. Les couloirs qui desservaient les tribunes, étaient à hauteur du péristyle de la colonnade qui précède le Palais en face le pont de la Concorde et presque aussitôt ce péristyle se couvrit