Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

couvrir, pas dans la place même : là, le président de la Chambre et les questeurs ont seuls qualité pour ouvrir ou refuser aux troupes l’accès du palais, y ordonner leur place et leurs mouvemens. Ces droits sont établis pour assurer l’indépendance du pouvoir législatif contre les entreprises du pouvoir exécutif. Mais il faut que le chef militaire se concerte et se tienne en accord, au centre de son action, avec une autorité délibérante et multiple, parfois qu’aux instans où il a à peine le temps d’agir, il cherche dans les détours d’un palais les arbitres de ses résolutions et forme lui-même ses projets, assailli par les conseils des députés. Cette division de l’autorité est grosse de conflits, de lenteurs, d’hésitations, c’est-à-dire de tout ce qui annule l’autorité elle-même.

Le 4 septembre, la nature des forces employées mettait au comble ce mal. Les sergens de ville et la garde municipale obéissaient au préfet de police ; la garde nationale au ministre de l’intérieur ; la gendarmerie et la ligne, au ministre de la guerre. Sans doute, en vertu de la loi sur l’état de siège, l’autorité militaire concentrait tous les pouvoirs. Mais cette loi n’avait pas changé les habitudes. L’autorité militaire, par un dédain réfléchi, ne voulait pas diriger les gardes nationales et, en leur donnant des ordres, les élever à la dignité d’un corps combattant : elle abandonnait à leur état-major particulier la liberté d’envoyer ou non, autour de la Chambre leurs légions inoffensives. Par une répulsion d’un autre genre, l’autorité militaire s’abstenait plus encore de tout contact avec la police et laissait le préfet maître de donner à ses détachemens l’importance, les emplacemens, et les instructions qu’il voulait.

Le général de Caussade, chargé par Montauban de protéger le Corps législatif, était un divisionnaire habitué à la vie sédentaire et tout administrative qu’on menait alors dans les hauts grades, fatigué de corps, passif de volonté, et pénétré de cette crainte superstitieuse que le pouvoir civil, quand ils ne le méprisent pas, inspire parfois aux hommes d’épée. Dans le Palais, il demanda aux questeurs leurs instructions ; au dehors, il laissa les troupes s’établir à leur gré et se contenta de placer ses deux bataillons d’infanterie. Inconnu à toutes les troupes dont il devenait le chef nominal, il n’en connaissait aucune, pas même celles qui relevaient directement de la Guerre. La gendarmerie arrivait de la banlieue, les deux bataillons de ligne étaient composés de recrues qui ne savaient pas même le maniement des armes. Non seulement il ignorait ce qu’il pouvait attendre de ces forces, il ignorait quel effort il avait à leur demander. Si le ministre lui avait recommandé une contenance énergique, les questeurs et