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disparaître, l’impératrice autorisât les députés à la sauver. Chacun des ministres, dès qu’il parut à la Chambre, recueillit l’expression cent fois répétée, anxieuse, suppliante de ce sentiment.

Mais les ministres arrivaient, irrités de cette séance qu’ils avaient cru prévenir, plus irrités encore de ces dispositions à un changement qu’ils repoussaient, et l’intérêt personnel, par lequel on avait voulu gagner le chef du cabinet, ne détacha même pas celui-là. L’illégalité de la mesure n’était pas pour troubler ses scrupules, mais il vit clairement qu’après ce 18 Brumaire de la défaite, comme après l’autre, les trois consuls n’auraient pas part égale, qu’un serait tout, et que celui-là serait le général Trochu. Il lui parut plus sûr de garder un pouvoir où l’on était le premier que faire une révolution pour passer du premier rôle au troisième. Il resta donc le plus inébranlable des ministres qui ne voulurent rien céder. Evitant toute discussion à fond, ils s’échappèrent par des prétextes. On ne put tirer d’eux que des plaintes contre la surprise de la séance, le procédé du président, ils se montrèrent ridiculement offensés de n’avoir pas été avertis selon les formes, comme si à une pareille heure les grandes douleurs laissaient encore de la place aux petites susceptibilités.

Ces inutiles négociations se poursuivirent jusqu’à une heure du matin, et quand la séance s’ouvrit, aucun accord n’était intervenu. Montauban se contenta de faire l’aveu officiel de nos désastres. Après quoi il déclara d’un ton raide le ministère incapable d’examiner en ce moment « les conséquences sérieuses que des événemens si graves et si importans devaient entraîner » ; les ministres n’avaient pas eu le loisir de délibérer ; « on était venu l’arracher de son lit pour l’amener à la Chambre : il repoussait tout débat immédiat. » Plus le gouvernement se faisait intraitable, plus la gauche devait être exigeante. M. Jules Favre lut la proposition de déchéance ; elle était signée de vingt-sept noms et ainsi conçue :


Art. 1er. Louis Napoléon Bonaparte et sa dynastie sont déclarés déchus des pouvoirs que leur a conférés la Constitution. — Art. 2. Il sera nommé par le Corps législatif une commission de gouvernement de… membres qui sera investie de tous les pouvoirs du gouvernement, et qui a pour mission expresse de résister à outrance à l’invasion et de chasser l’ennemi du territoire. — Art. 3. M. le général Trochu est maintenu dans les fonctions de gouverneur général de la ville de Paris.


Ces paroles de condamnation tombèrent au milieu d’un silence profond et lugubre. Seule une voix s’éleva, disant : « Nous pouvons prendre des mesures provisoires, nous ne pouvons pas prononcer la déchéance. » C’était la protestation de M. Pinard, ancien ministre. Sa fidélité survivait à sa courte faveur. Homme de loi, il défendait l’empire en juriste. Sans un mot pour nier ou excuser