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à l’heure où le parti révolutionnaire allait entrer en lice. Mieux valait encore que ce gouvernement attendît le choc, immobile, mais du moins entier. L’émeute lui offrait une chance. La victoire là est affaire d’énergie et de troupes, et si vivre était impossible, mieux valait, pour l’honneur de la mort, finir comme un pouvoir qui tombe, non comme un corps qui se dissout.

Ainsi les serviteurs du régime étaient conduits par des pensées fort différentes à cette conclusion dernière et à cette ressource unique, résister. Tous avaient vécu et vieilli dans le dédain de l’émeute. Ils avaient vu le parti révolutionnaire traîner si longtemps des haines patientes, inefficaces, et ramper en grondant aux pieds du dompteur ! Le renom de vigueur, acquis le 2 décembre, avait épargné, durant dix-huit ans, la nécessité de le justifier : si grandes que fussent les haines, la peur était plus grande encore. C’est cette peur qui, défendant l’empire, même durant l’absence, même après les défaites du souverain, avait, le 9 août, sauvé de l’invasion le Corps législatif. C’est cette peur que les conseillers de l’impératrice croyaient encore assez forte pour contenir la révolte, — même après Sedan.

Un seul homme, M. Schneider, parut d’un autre avis. Un pouvoir encore n’avait pas perdu toute autorité dans les désastres, le Corps législatif : c’est derrière lui qu’il fallait faire un instant disparaître la famille impériale en instituant un gouvernement provisoire choisi par la représentation nationale et parmi elle ; il durerait ce que durerait l’orage, et l’empire garderait la chance de se rétablir avec le calme. Mais soit que l’angoisse d’ajouter la cruauté de son conseil aux douleurs d’une femme déjà accablée par le sort paralysât M. Schneider, soit que la crainte de paraître ambitieux pour lui-même en réclamant le premier rôle pour la Chambre l’embarrassât, soit enfin qu’aux avis les plus sages d’un sceptique manque toujours la foi nécessaire pour entraîner les convictions et décider aux grands sacrifices, ses paroles ne portèrent pas. Le projet, qu’il avait soumis à l’impératrice seule, durant une suspension de la séance, et sur lequel il n’insista point, ne fut même pas discuté.

Décidé à ne pas se transformer, le gouvernement devait plus craindre qu’espérer de la Chambre. Elle avait manifesté son vœu persévérant pour une modification du pouvoir. Si elle se réunissait sous le coup des terribles nouvelles, n’écoutant plus qu’elle-même, et poussée par cette tentation de « faire quelque chose », qui achève parfois les grands malheurs par la précipitation aveugle des remèdes, peut-être ses propositions rendraient public un désaccord entre elle et la régence et fourniraient au parti révolutionnaire prétexte pour se transformer en défenseur de la représentation