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banques, un péril de plus. L’Etat ressemble souvent à ces tuteurs qui abusent de leur autorité pour mettre leur pupille à mal. Ainsi, en Italie, de cette infortunée Banque Romaine, dont le scandaleux procès a, durant des mois, passionné nos voisins et mis le pays en demeure de choisir entre un parlement discrédité et un gouvernement prévaricateur[1]. La Banque, sous la pression du pouvoir, employait les fonds déposés dans ses caisses à relever artificiellement les cours de la rente italienne, c’est-à-dire à fausser les cotes de la Bourse ; elle était contrainte d’ouvrir des comptes courans et de faire des avances à des députés et à des hommes politiques sans ressources, pour rembourser leurs dettes. Son encaisse et son capital, entamés depuis longtemps, étaient fictifs ; le nombre de ses billets en circulation dépassait le chiffre autorisé par la loi ; et tout cela s’était fait sous l’œil bienveillant de l’Etat, au nom du patriotisme et de l’intérêt public, avec la complicité ou, mieux, sur l’ordre des ministres, au su des inspecteurs, qui approuvaient ou se taisaient; si bien que, le jour où ces édifiantes pratiques furent découvertes, le jury ne s’est pas cru en droit de condamner les prévenus cités devant lui. Les plus grands coupables étaient au gouvernement, et non sur les bancs des accusés.

Si d’aussi gros scandales n’ont pas éclaté chez nous, cela ne tient peut-être pas uniquement à ce que nous sommes encore plus embarrassés de scrupules que nos voisins, mais peut-être autant à ce que, grâce à Dieu, nous n’avons pas, en France, de banque d’émission dans une aussi étroite dépendance de l’Etat. En France même, les établissemens de crédit dont l’Etat nomme les gouverneurs se sont fait soupçonner plus d’une fois (à tort, je le veux croire), de violer leurs statuts en consentant aux amis du pouvoir et aux gens en place des avances imprudentes ou des prêts exagérés. Justifiées ou non, grossies ou atténuées par la malignité des uns et par l’indulgence des autres, de pareilles accusations montrent l’inconvénient de mettre la main du gouvernement dans les coffres des banques.

Le danger n’est pas le même, semble-t-il, avec les chemins de fer ou les tramways, les entreprises de navigation ou les câbles sous-marins. En est-on bien sûr? S’il y a place à moins d’abus, les compagnies offrent, ici encore, plus de garanties que l’Etat. Elles sont bien vilipendées, chez nous, les compagnies de chemins de fer. On leur reproche jusqu’aux conventions qu’il

  1. Procès de la Banque Romaine (Tanlongo et consorts) devant la cour d’assises de Rome, 1894. C’est ce que les Italiens, se servant d’un diminutif immérité, ont appelé le Panamino; il eût été plus juste de dire, avec un augmentatif, le Panamone.