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efficace. Trop de gens ne voient, dans ces délicates fonctions d’administrateurs ou de censeurs, qu’une lucrative sinécure. Certains ne viennent guère au conseil que pour signer la feuille de présence ; et si le traitement est mince et les « jetons » peu rémunérateurs, beaucoup cherchent à se rattraper sur les participations et sur les syndicats. Il y a là une sorte de parasitisme financier. Mais, qu’on veuille bien nous entendre, le parasite ici ce n’est pas le banquier, l’industriel, le financier de profession : — les parasites, c’est tout cet essaim d’hommes du monde ou de politiciens qui voltigent autour des sociétés industrielles et des maisons de banque, se disputant les restes des financiers, cherchant, après eux, quelque grain à grappiller, quelques miettes à croquer.

Les plus avides, et aussi les plus suspects, sont les politiciens, membres du Parlement, anciens ministres ou autres, qui prétendent battre monnaie avec leur mandat, faisant valoir leurs relations officielles et apportant, à défaut de compétence et de travail, leur influence dans les bureaux des ministères. Pour beaucoup de parlementaires, on le sait, pour toute cette légion affamée de politiciens besogneux qui envahissent les assemblées électives, la politique n’est guère qu’un moyen de se tirer de la gêne ou de la médiocrité, une façon de faire brèche dans les murs escarpés de la cité de Mammon, où règne la fortune et où habite le plaisir. Le mandat populaire leur semble une sorte de traite ou de lettre de change à tirer sur les banques et sur les sociétés industrielles, à défaut des ministères ou des hauts emplois de l’État. Pauvres députés ou anciens députés ! on n’ose trop leur en vouloir: ils sont, en vérité, plus à plaindre qu’à blâmer. Il faut bien vivre, et l’aride politique ne nourrit pas toujours ceux qui labourent ses maigres sillons. Ce n’est pas avec les 9 000 francs de l’indemnité parlementaire que les grands hommes d’arrondissement envoyés dans la capitale par la confiance de leurs compatriotes peuvent mener la vie de Paris. Ceux qui n’ont pas d’autres ressources s’ingénient à s’en créer, et il leur semble légitime que toutes les portes s’ouvrent devant la médaille de représentant du pays.

« Sénateurs et députés de droite, de gauche, du centre, remarquait, il y a une quinzaine d’années, déjà, un journal indépendant[1], se jettent sur les sociétés financières, comme sur une proie ; le titre d’ancien ministre (titre dont la cote a singulièrement baissé dans ces derniers temps) vaut une place de président

  1. L’Économiste français du 8 novembre 1879.