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l’administration de presque toutes les grandes entreprises. C’est là, si l’on y tient, la nouvelle féodalité financière, celle qui, par voie détournée, a su ériger en coutume l’hérédité des offices.

On se tromperait, cependant, en croyant que ce personnel se recrute uniquement dans les familles de financiers ou d’industriels, chez lesquelles l’aptitude aux affaires semble un effet de l’éducation, ou un don de l’hérédité. Nullement; ce n’est pas là une règle sans exception. Nous avons beau lire les mêmes noms en tête des comptes rendus de nombre de sociétés, le haut personnel des conseils d’administration, tout en se recrutant, le plus souvent, dans les mêmes familles ou dans les mêmes cercles, n’en offre pas moins à l’œil un aspect bigarré. Prenez les rapports annuels de nos grandes sociétés industrielles ou financières, vous rencontrerez, dans la liste des administrateurs, des hommes d’origine et de situation fort différentes, depuis les parvenus de l’industrie et du commerce, jusqu’aux descendans titrés de l’ancienne aristocratie, le tout allié aux fruits secs de la politique et aux vétérans de tous les partis qui se sont successivement arraché le pouvoir. Les hommes du monde y coudoient les hommes d’affaires; et à côté des lourds millionnaires à la carrure solide comme leur fortune, il n’est pas rare d’y voir siéger d’élégans et besogneux clubmen, à la cervelle aussi légère que leur bourse. Les uns apportent leur expérience et leur compétence technique ; les autres, leur belle prestance ou l’éclat décoratif de leur nom et de leurs titres civils ou militaires, sorte d’enseigne à rehausser le prestige des sociétés ; quelques-uns, comme dans la complainte, n’apportent rien, — que leurs appétits et leur complaisante docilité.

Un des défauts de cette organisation, — le plus grave peut-être, — c’est que les mêmes hommes sont souvent intéressés à trop d’affaires pour être en état de les suivre avec soin ; partant, il arrive, trop fréquemment, que ni les conseils d’administration n’administrent, ni les conseils de surveillance ne surveillent. Faute de temps, ou faute de compétence, ou encore faute d’indépendance, ils sont obligés de s’en rapporter au directeur ou au président, qui mène l’affaire à son gré. Les administrateurs sont en général trop nombreux, et, contrairement au préjugé public, leurs fonctions sont trop peu rémunérées. Sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, l’opinion fait fausse route; pour que le contrôle des conseils d’administration demeurât toujours effectif et vigilant, il faudrait que leur responsabilité fût partagée entre peu de personnes dont les services fussent rétribués largement.

De toutes les réformes à proposer dans l’administration des sociétés, celle-là est la plus simple, et ce serait sans doute la plus