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élèves, — se laissent prendre ici à des analogies tout extérieures. Les compagnies anonymes, les sociétés par actions sont bien des collectivités dont les membres se comptent par milliers et par dizaines de milliers; mais ce sont des collectivités volontaires et spontanées, où l’on entre, d’où l’on sort librement; mais, au rebours de la société collectiviste vers laquelle on veut qu’elles nous acheminent, elles sont entièrement fondées sur la propriété privée. Leur objet est de conserver, jusque dans l’association, rapport individuel, et leur mérite est de faire à chacun, dans l’avoir commun, une part proportionnelle à ses apports. Appelez-vous cela du collectivisme, c’est le seul fondé en droit et en raison, le seul pratique, le seul fécond et le seul légitime, parce que, avec la propriété, il respecte l’individu et les droits individuels. Mais ne nous payons pas de mots; c’est tromper les autres ou se duper soi-même que de jouer avec de pareilles équivoques. N’en déplaise aux socialistes, les sociétés par actions n’ont rien du collectivisme; par leur but, par leur composition, par leur organisation tout entière, elles en sont l’opposé. Bien plus, au lieu de lui frayer la voie, comme certains l’imaginent, ce sont elles, en réalité, elles surtout qui lui barrent la route; car, — nous y reviendrons tout à l’heure, — elles accomplissent, dans notre civilisation industrielle, ce que ne peut tenter l’individu isolé, ce que, faute de libres sociétés privées, pourraient seuls faire l’Etat et la collectivité.

Et ainsi, quelque opinion qu’on en ait, quelques défauts qu’on leur découvre (et nous en indiquerons dans un instant quelques-uns), il n’est pas vrai que les sociétés par actions soient les fourriers du collectivisme, comme il est faux qu’elles ne soient que les pourvoyeurs du mammonisme et les rabatteurs de la ploutocratie. A bien les regarder, leur rôle est plutôt de nous défendre contre l’une et l’autre tyrannie, contre une égoïste oligarchie de ploutocrates et contre \me grossière démocratie collectiviste. Elles seules, peut-être, sont en état de nous préserver à la fois de la seigneurie humiliante de quelques Crésus bourgeois et du joug énervant d’un collectivisme niveleur. Sans elles, sans ces compagnies aveuglément conspuées, nous n’aurions guère que le choix entre l’un et l’autre servage.


I

Les sociétés par actions, avons-nous dit, sont le produit naturel de la démocratie et sortent spontanément de la dissémination des capitaux. Elles ne peuvent naître, elles ne peuvent grandir