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ne l’ont fait dans leurs exactitudes la plupart des reporters et photographes auxquels depuis j’ai eu affaire. L’idée et le sentiment juste manquent à toute reproduction mécanique. La vérité du détail y perd peut-être, non celle de l’ensemble, qui seule importe et compte et doit frapper. »


Et, en plus de tout ce qu’on sait déjà, il m’apparut que lord Hyland nous était encore revenu de ces pays sauvages excellent esthéticien.


« Je ne leur en veux, poursuivit-il, que de m’avoir trop souvent fait valoir aux dépens des indigènes, ou plutôt je n’en veux qu’à l’infatuation de certains voyageurs dont les livres les ont parfois inspirés, hommes violens et durs qui, faute d’intelligence et de sympathie véritable, n’ont peuplé ces vastes espaces que d’hommes méchans, menteurs, impudiques et grossiers.

« Certes, ce ne seraient point des hommes s’ils n’étaient tout cela. Car persuadez-vous bien que les nouveaux sentimens que m’inspirent mes semblables ne m’ont pas fait changer d’opinion sur eux. Qu’ils aient été faits ou soient devenus ce qu’ils sont, je ne m’aveugle point sur les crimes dont la plupart sont capables, et dont rien, que la mort et l’oubli, ne les saurait racheter. J’en ai vu d’horribles chez ceux d’où je viens, non pas tels, cependant, que je n’en sache chez nous de plus horribles encore.

« Je n’y encourage pas mon beau-père dans la crainte qu’il me devine trop clairement, et le retiens plutôt dans l’éloge qu’il a coutume de faire des sauvages. Comme souvent les diplomates, il est plus confidentiel que discret. Si je m’ouvrais à lui, il ne résisterait pas à l’envie de faire part de mon cas à chacun des savans qu’il fréquente. On lui promettrait le secret, et tout le monde bientôt saurait de moi-même ce que jusqu’ici je ne vois aucune utilité à livrer.

« Mais ne vous y trompez pas, quoique paradoxales en apparence, ses vues sont justes en réalité. Le parallèle qu’il fait des primitifs en comparaison des civilisés n’est point si ridicule qu’on pourrait croire, ni les exemples qu’il donne si mal choisis.

« Ce qu’il ne pourra pas cependant vous dire aussi bien que moi, reprit-il, c’est que les esclaves qu’on leur reproche et pour lesquels notre avarice et notre avidité leur font la guerre, sont mieux traités chez eux que chez nous le pauvre, et qu’aucun d’eux n’est encore mort comme est mort chez nous Jo ; Jo le balayeur. Leurs maîtres leur ressemblent trop pour leur nuire. Ils vivent leur vie. Ils n’ont pas surtout de plus grands besoins qu’eux. Et