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j’avais pu lui rendre, je lui avais nommé, dans les douze volières, chacun des merveilleux oiseaux dont le Samson était chargé pour Sa Majesté, et souvent, le soir, lisant pour elle dans les astres, j’avais cru bien faire de lui prédire une meilleure destinée.


Le petit livre que vous m’aviez remis, lady Lucy, m’avait indiqué ce qui pouvait le mieux vous plaire. Ce n’était qu’une heureuse et simple histoire d’amour, pleine, comme votre cœur, d’oiseaux, de fleurs et d’étoiles. La vive impression qu’elle vous causait m’apprit à vous mieux connaître. En me permettant de la lire, vous me fîtes mieux comprendre que les âmes les plus naïves ne sont pas les moins fortes et que l’amour le plus tendre n’est pas le moins résolu. Et vous, William, peut-être m’avez-vous mieux touché encore en vous associant à elle pour me rappeler ces menues choses. En vous associant ensuite aux filiales angoisses de son cœur, vous sûtes, s’il se peut, me donner de votre bel amour une idée plus parfaite, et fîtes que pour elle je vous désirais davantage.

Elle n’eut point, il est vrai, à pleurer la perte d’un père qui lui fut rendu et dont l’heureux retour, William, allait combler votre mutuel amour. Mais tandis que vous redoutiez les dangers mortels du hasardeux voyage, je sentais bien, à mesure que vous m’écriviez, que ce n’était pas tant parce que la mort eût scellé l’injuste refus d’un sceau sacré que nulle main, peut-être, n’eût osé rompre, qu’à cause d’Elle et des larmes que vous lui eussiez vu répandre !


XII

Lord Hyland m’avait étonné sur le Samson. Il devait m’étonner autrement et davantage lorsque je le revis à Londres et qu’il eut bien voulu me raconter l’histoire de l’extraordinaire retournement que j’ai annoncé dès le début.

Je ne fus pas d’abord sans me demander si c’était bien là le même homme que j’avais devant moi, le même à qui ma main serrait la main, le même dont mes oreilles entendaient distinctement les paroles. Oui, le même, mais si différent d’âme et d’intention qu’après vous l’avoir représenté dans son premier état, je crains fort de mal réussir à vous le bien montrer dans le second.

Je savais bien que les Anglais ne se modifient point par nuances, qu’ils n’ont ni entre-deux ni demi-teintes, qu’ils passent tout d’un