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information il était revenu sur le compte de Samuel, qu’il me représenta à son tour comme un honnête homme, dont le seul tort, aux yeux du monde, était de n’avoir pas une piété médiocre.

Quoique lui-même eût eu besoin d’être converti et qu’il ne le désirât point, considérant que, faute de preuves suffisantes, il ne pouvait qu’ignorer l’inconnaissable, il avait toujours soutenu et servi les missionnaires en toutes circonstances. Ceux-ci ouvraient le chemin à la civilisation, c’est-à-dire au commerce, aux armées, aux administrations sans lesquels un État ne saurait vivre. Ils rapportaient ensuite de curieux spécimens et des remarques utiles aux sciences.

Toutefois, comme philosophe, ce n’était point à eux qu’allaient ses sympathies ; elles allaient toutes aux sauvages qui, prétendait-il, n’avaient point en morale tant à apprendre de nous que le voulait bien croire la Société des Missions de Londres.


« Les hommes et les passions sont partout les mêmes, me dit-il, leur diversité n’est qu’apparente ; le fond reste irréductible. Les mœurs elles-mêmes sont semblables, la manière seulement et les moyens diffèrent. Plus libre comme savant que comme diplomate, je puis bien vous dire ici qu’à part la couleur de leur peau, nous n’avons rien de sérieux à reprocher à ces braves gens. En sondant les cœurs et les reins, ils ne valent ni mieux ni moins que nous. Au lieu d’ale et de pale-ale, c’est de bière de palme qu’ils s’enivrent ; au lieu de banknotes souvent maculées, ce sont de jolies petites coquilles que leur avarice amasse et que, mieux encore que le jeu et les plaisirs, leurs rois, comme chez nous, l’impôt et l’emprunt leur enlèvent. Ils tuent de près, et nous de loin. Secrète chez nous, leur polygamie est d’ordre public. Et, si chez eux les femmes honnêtes vont sans voiles, tandis que les seules courtisanes s’habillent, cela prouve seulement que, chez eux comme chez nous, il y a des unes et des autres, et que, malgré les prétentions de notre Comité de Licence, le vêtement n’y fait rien. »


L’ambassadeur m’avait promis de lui-même qu’il ne manquerait pas d’informer son neveu du détour que j’avais fait pour le voir. Quelques mois plus tard, en effet, je reçus une lettre de Rio dans laquelle, en me disant combien ma pointe sur Rome l’avait touché, sir William m’exprimait sa gratitude pour les attentions particulières qu’après l’inattendue rencontre il savait que j’avais eues pour lady Lucy. Outre les petits services que