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descendans de ces divers peuples disparus ; mais dans leurs idées, leurs habitudes, leurs croyances, leur façon de penser, de vivre, il n’y a plus rien du Punique, rien du Romain, rien du Vandale : c’est le Berbère seul qui a surnagé.

Il y avait donc, dans cette race, un mélange de qualités contraires qu’aucune autre n’a réunies au même degré : elle paraissait se livrer et ne se donnait pas entièrement ; elle s’accommodait de la façon de vivre des autres, et au fond gardait la sienne ; en un mot, elle était peu résistante el très persistante.

Il appartient à ceux qui voient de près les indigènes de juger s’ils conservent toujours ces qualités ou s’ils les ont perdues. Dans tous les cas, il est bon de savoir qu’ils les avaient autrefois ; c’est un renseignement dont nous pourrons faire, je crois, notre profit. Lorsque, dans nos rapports avec eux, nous serons tentés de nous décourager, rappelons-nous qu’ils n’ont pas toujours été réfractaires à l’étranger, qu’il leur est arrivé de s’entendre avec leurs ennemis de la veille, d’accepter sans répugnance leurs habitudes, leur langue et leurs lois ; mais n’oublions pas non plus, pour nous tenir en garde, que leur naturel a fini par reprendre le dessus, qu’il s’est débarrassé de tous ces emprunts étrangers et qu’en définitive il est resté le maître. Il y a là, pour nous, à la fois un motif d’espoir et une cause de défiance, des facilités dont nous pourrons nous servir, et un obstacle qu’il nous faudra essayer de vaincre.

Ces indications ont leur prix. Pour savoir ce qu’un peuple pourra devenir, il faut d’abord connaître ce qu’il a été. C’est le service que nous rond l’histoire, et ce qui me justifiera, je l’espère, d’avoir retenu si longtemps le lecteur sur l’étude de l’Afrique romaine.


GASTON BOISSIER.