Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/744

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

croissant avec l’âge, en même temps que la mutuelle confiance, le mutuel amour, lorsque, en venant enfin au retour du père et à la séparation déchirante, ses yeux malgré lui se remplirent de larmes.

Elles redoublèrent quand il m’eut montré ce portrait qui ne le quittait pas ; ces lettres, tendres échos des plaintes que je venais d’entendre ; ces fleurs séchées et, à côté de la première marguerite, le pétale plus rare cueilli aux îles lointaines.


VIII

Si lord Hyland avait arraché sa fiancée à William, du moins n’était-ce pas au profit d’un autre. À différentes reprises, il m’avait dit qu’il ne comptait pas marier sa fille, qu’elle était ainsi plus libre, plus heureuse, qu’elle n’y pensait pas, ou, du moins, qu’elle n’y pensait plus. Ses idées sur le célibat s’étendaient aux femmes et, comme l’Apôtre, il considérait qu’il était de plus grande perfection de ne se point marier. Nos sœurs et nos missionnaires lui paraissaient d’excellens modèles que de lui-même Samuel avait suivis avec avantage et auxquels lady Lucy devait s’appliquer.

Il s’ôtait tout scrupule à cet égard, en se faisant fort du dévouement avec lequel la fille aidait la mère, et, comme de leur commun silence, s’autorisait de leur commune émulation à acquérir les mérites qui devaient servir un jour à les justifier devant Dieu.

Matin et soir, en effet, elles assistaient à la prédication et aux cantiques. Elles l’y suppléaient au besoin. La correspondance était infinie sur laquelle on les voyait ensuite penchées le reste du temps. Aux heures les plus chaudes, et tandis qu’à l’avant les Hindous eux-mêmes faisaient la sieste, à l’abri de quelque bout de toile aspergée d’eau, elles continuaient à écrire dans le room, sous la dictée de l’apôtre acharné aux papiers de propagande que lui renvoyaient de Londres ses propres bureaux. À terre, les mêmes travaux leur étaient rendus plus pénibles par le nombre et l’indiscrétion des futurs fidèles, l’insalubrité, les incommodités des divers climats.

Mais à quelque classe qu’elles appartiennent, les voyages et les fatigues qu’ils comportent ne sont point faits pour arrêter les Anglaises. Un vaste empire colonial offre aux ambitions ou aux curiosités de ceux qu’elles épousent tant d’attraits et d’appâts différens que, préparées à cette idée dès l’enfance, elles n’ont nulle répugnance à les suivre. Toutes ont vu des hommes noirs et des hommes jaunes ; toutes ont promené sous d’autres constellations leur capricieuse audace ou les âpres convoitises de leur dévouement.