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tort de me confondre. Non pas que je n’approuve l’idée dont ils ont précisément tiré leur nom, et que leurs sociétés de tempérance ne soient exactement ce qu’il faut; mais parce que la mollesse de leur cœur et leurs perpétuels gémissemens m’éloignent d’eux autant, si ce n’est plus, que l’indécence de leur mise en scène et le tapage de leurs instrumens. »


La nature de ses préoccupations et son originalité m’attachaient à lui tous les jours. Je le laissais volontiers venir à moi quand la prédication, les cantiques et sa correspondance le lui permettaient. Sans entrer dans ses idées je lui montrais que je n’y étais pas indifférent. A défaut d’approbation, je lui donnais de l’attention, ce qui est peut-être fait pour flatter davantage.

Malgré l’outrance qu’il y mettait, sa mauvaise opinion des hommes n’était pas en soi si mal fondée que je ne pusse lui faire des concessions notables et croire avec lui que, par elle-même, l’humanité ne parvînt jamais à beaucoup changer. Je lui avais d’autre part avoué que je n’aimais pas trop à penser non plus que la vie fût à elle-même son propre but; qu’en tout cas, et à quelque parti qu’on s’arrêtât, la méditation de la mort était la part des meilleurs; qu’en les détachant de biens, comme eux, périssables, elle les élevait au-dessus d’eux-mêmes, — et autres belles choses qu’on répète depuis des siècles, faute de trouver mieux.

Avances insuffisantes qui plutôt le mécontentèrent.

A plusieurs reprises il me fit vivement sentir qu’aux prétentions philosophiques il préférait la commune insouciance, l’ignorance grossière aux vaines réflexions. Comme l’Apôtre, il en voulait surtout aux hommes de négliger Dieu autrement que par oubli, ne leur pardonnait point de songer à la mort sans songer au salut.


« Je vous plains, me dit-il, mais que n’ai-je moi-même senti plus tôt que le salut était la seule affaire au monde, la seule qui importe, et que de temps perdu jusqu’au jour où le Révérend Samuel vint enfin me retirer de l’abîme dans lequel j’étais plongé! Homme admirable, unique au monde par la parole et par l’esprit qui changea en fils de Dieu la pierre du chemin !

« Avant que je l’eusse recueilli chez moi et mis à l’abri, Samuel allait prêchant dans nos villes et nos campagnes sous l’injure dont le couvrait la foule ameutée, tandis que, secrètement causes du tumulte, les recteurs de paroisse requéraient encore la police contre lui. Tous plus acharnés et, sous leurs faces respectables, pires que les sauvages auxquels nous nous sommes depuis consacrés. Trois granges brûlèrent où l’apôtre avait couché. Une enquête eut lieu où deux doyens ruraux et un lord spirituel de la Haute Eglise furent compromis.