Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/733

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tous d’être noyés par Dieu parce que le commandant Hector avait l’habitude de fumer sa pipe.

Je pris la liberté de le dire au noble lord, qui, tout en voulant bien sourire de la forme que j’avais donnée à ma pensée, ne m’accorda rien sur le fond.


III

Comme aux hommes, sa réprobation allait aux choses, autant pour le mauvais usage et l’abus que ceux-ci en font, que pour l’agrément ou l’utilité qu’ils en retirent. C’est ainsi qu’après avoir reproché sa pipe au plus innocent des pécheurs, il en vint à désapprouver les commodités que j’ai déjà dit que nous avions sur le Samson. L’excellente cuisine que nous faisait M. Renard, mon compatriote, achevait de le mécontenter. Car aussi bien qu’aux ingénieuses industries qui rendent aux hommes ce monde habitable, il en voulait aux arts qui les distinguent des autres animaux.

Je pensais toutefois que, si en vue du ciel il méprisait la terre, il n’était pas le plus mal partagé dans l’usage des douceurs qu’il est permis à quelques-uns de s’y procurer.

Rien ne lui manquait de l’abondance et des raffinemens dont s’entoure le riche. Non plus que du thé qui accompagnait deux des cinq repas que nous faisions par jour, il me semblait bien qu’il n’eût pu se passer aisément de la douche et des frictions que le fidèle John lui donnait chaque matin. Le linge qu’il portait était d’une particulière finesse, et je n’avais pas encore rencontré en voyage Anglais mieux habillé. Il y avait d’autant plus de mérite qu’il était de grande taille, et, quoiqu’en parfaites proportions, d’une corpulence peu commune.


« Si vous me voyez décemment vêtu, me répondit-il, quand notre intimité m’eut permis de lui faire part de quelques-unes de ces réflexions, ce n’est ni par goût ni par ancienne habitude d’élégance, mais bien par nécessité. Les hommes sont si corrompus qu’un vêtement négligé les indispose. Aux pauvres que j’enseigne, le moindre relâchement de ma part paraîtrait offensant ; aux riches, ambitieux ; aux uns et aux autres, affecté et faux. Etant connu de tous, j’ai pensé mieux faire de continuer à vivre selon mon état et ma condition. C’est ainsi qu’à Londres je ne me rends jamais, aux salles où je prêche, autrement qu’en carrosse, et que ma livrée s’y montre, comme à Windsor, aux jours de gala.

« En agissant ainsi, je pense me montrer plus simple à ma manière qu’à la leur les salutistes avec lesquels on a souvent le