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L’importance exceptionnelle des événemens qui se sont passés en France nous oblige à leur accorder aujourd’hui la plus grande partie de cette chronique. Nous ne dirons qu’un simple mot de l’Italie et de la Grèce. A Rome, le roi Humbert s’est décidé à soutenir son ministre, M. Crispi; à Athènes, le roi Georges a pris le parti contraire et s’est débarrassé de M. Tricoupis. Si nous faisons ce rapprochement, ou cette antithèse, ce n’est pas pour établir la moindre analogie entre la situation de l’Italie et celle de la Grèce. Ce serait un jeu d’esprit qui ne tiendrait pas compte de différences fondamentales ; et puis, nous ne pouvons pas oublier que les Italiens nous ont interdit de les juger. On dira bientôt : Choses d’Italie ! comme on disait autrefois : Choses d’Espagne ! Les étrangers n’ont pas le droit de les comprendre. Quoi qu’il en soit, et jusqu’à ces derniers jours, on était resté dans le doute au sujet de la résolution finale que prendrait le roi Humbert; il laissait les hommes politiques s’agiter autour de lui et gardait pour son compte une immobilité et un silence un peu sibyllins. Aujourd’hui, le sort en est jeté : un décret royal a déclaré close la session de la Chambre des députés, ce qui veut dire que celle-ci sera prochainement dissoute et que le gouvernement fera appel au pays. M. Crispi ira vraisemblablement jusqu’au terme des délais légaux avant d’ouvrir une période électorale qu’il voudra prendre le temps de préparer, et il fera bien. Depuis quelques semaines, une dizaine d’élections ont eu lieu sur des points divers du royaume : elles ont presque toutes tourné contre les candidats du gouvernement. Est-ce le hasard qui n’a rendu vacantes que des circonscriptions hostiles, ou faut-il croire que, sous des apparences très calmes, un mouvement profond s’opère dans les esprits? L’épreuve électorale pourra seule le dire. En tout cas, la lutte qui se prépare sera des plus vives, et l’on peut être sûr que M. Crispi emploiera les moyens les plus énergiques pour en sortir victorieux. Nous ne pouvons qu’admirer un homme aussi obstinément résolu à ne jamais donner sa démission!

En Grèce, M. Tricoupis, a dû donner la sienne. M. Tricoupis a été une des déceptions de l’Europe. On l’avait pris longtemps pour un homme d’État : on s’était trompé. Il a conduit son pays à la banqueroute, et la manière même dont il l’a faite n’a pas peu contribué à justifier le qualificatif que lui attribuait autrefois Mirabeau. Mais si M. Tricoupis a manqué, sans y mettre aucune forme, aux engagemens de la Grèce envers ses créanciers, a-t-il du moins diminué les charges fiscales sous lesquelles pliaient ses compatriotes ? Non : les dépenses et les impôts ont continué d’augmenter. Il est devenu alors aussi impopulaire en Grèce qu’il était déjà peu sympathique dans le reste de l’Europe. Des pétitions ont été de partout adressées au roi pour demander la démission de son ministre : celui-ci a interdit à la poste de les transmettre à Athènes. Des réunions de plus