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de parti, un homme de lutte, ce que nous ne reprochons pas à sa mémoire, car il avait été élu pour cela. Il s’est jeté, ou a été jeté dans la bataille politique et il y a été vaincu, honorablement pour lui comme il l’avait été ailleurs, parce que jamais sa loyauté personnelle, non plus que son respect de la loi, n’ont été l’objet du moindre soupçon. Il a représenté une période de transition dont il a lui-même brusqué la fin. Quant à M. Grévy, loin de n’avoir pas terminé son mandat, il l’a vu renouveler, et, s’il n’est pas arrivé au terme du second comme du premier, il ne faut pas l’attribuer à des motifs politiques. Et M. Carnot? Lui reprochera-t-on d’avoir été assassiné? N’est-il pas hors de doute que, sans le coup de poignard de Caserio, il aurait achevé son septennat, et peut-être même en aurait-il commencé un autre? M. Casimir-Perier est le seul de nos présidens qui ait volontairement renoncé à sa tâche avant de l’avoir remplie tout entière, ou d’avoir épuisé tous les moyens légaux de le faire ; mais la cause en est en lui-même bien plus que dans nos institutions.

Avons-nous besoin de dire que les motifs de sa démission, indépendamment des conséquences qu’ils ont eues, ne peuvent avoir rien que d’honorable? S’il a dû être et s’il a été profondément blessé des attaques dirigées contre lui et du travestissement odieux jeté sur sa personne et sur son caractère, ce n’est pas assurément par simple amour du repos et par convenance personnelle qu’il a renoncé à l’accomplissement d’un devoir. Certes, il est pénible et cruel de voir ses intentions méconnues, sa vie politique calomniée, et de s’entendre tous les matins dénoncer à la démocratie comme son pire ennemi. Il est dur surtout de se sentir insuffisamment défendu contre ces outrages, mais il faut bien dire qu’avec son tempérament particulier, M. Casimir-Perier ne pouvait se juger convenablement défendu que par lui-même. C’est un lutteur et non pas un arbitre. Il consent à recevoir des coups, à la condition de les rendre à sa façon. Est-ce à dire qu’il n’était pas bien propre à remplir les fonctions de président de la République? Tel a été de tout temps son avis, et il ne l’a jamais caché. On n’a pas perdu le souvenir de la résistance désespérée qu’il a faite avant d’accepter, le 27 juin dernier, un mandat pour lequel il ne se sentait point fait. Pourquoi ne l’a-t-on pas écouté? pourquoi ne l’a-t-on pas cru? C’était au lendemain de l’assassinat de M. Carnot : refuser la Présidence pouvait ressembler alors à une défaillance; il l’a donc acceptée. Mais il semble que, dès le premier jour, sa principale préoccupation ait été de se persuader à lui-même à quel point il avait eu raison de la redouter. Tout le monde a lu le remarquable article que M. le duc de Broglie a publié le 15 avril dernier, dans cette Revue, et où il s’efforçait de démontrer que la Présidence de la République, telle que l’avait faite la Constitution de 1875, était incompatible avec l’humeur d’un homme d’action. Il en nommait quelques-uns qui n’auraient certainement