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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



31 janvier.


Il s’est passé tant de choses en France depuis quinze jours, que le premier incident d’où sont sortis tous les autres semble appartenir déjà à un passé lointain. M. Barthou, ministre des travaux publics, a subitement donné sa démission ; le lendemain, le cabinet, mis en minorité à la Chambre, donnait la sienne ; le surlendemain, M. Casimir-Perier quittait l’Elysée. Le jour suivant, le Congrès, réuni à Versailles, élisait président de la République M. Félix Faure. Puis, une dizaine de jours étaient employés à faire un ministère, qu’on a demandé d’abord aux radicaux, et ensuite aux modérés. Voilà bien des événemens, dont quelques-uns très graves. S’il y a toujours, et malgré les apparences, une proportion secrète entre les effets et les causes, il est difficile d’admettre que la démission d’un ministre ait pu, à elle seule, produire toutes ces conséquences. Cette démission n’a été que le point de départ d’une série de faits qu’elle ne suffit pas à expliquer.

Depuis quelques mois, un litige était pendant entre deux Compagnies de chemins de fer et l’État, qui interprétaient différemment les conventions de 1883. L’attention avait été attirée sur une clause du contrat relative à la durée de la garantie d’intérêts. Le désaccord étant devenu public, la spéculation l’avait exploité, et elle aurait continué de le faire si la juridiction compétente n’avait pas été mise à même de résoudre le différend. C’est ce que tout le monde demandait au mois de juin dernier. En conséquence, le Conseil d’État a été saisi de l’affaire ; il a donné raison aux Compagnies. Cela explique-t-il la démission de M. Barthou ? Non, certes. Les ministres ne sont responsables que devant les Chambres, et cette responsabilité suffit, dans l’état de nos mœurs politiques, à rendre déjà leur situation très précaire : le jour où ils se croiront responsables, par surcroît, devant les tribunaux administratifs ou autres, il n’y aura plus de stabilité du tout. Mais à quoi bon démontrer l’évidence ? M. Barthou a eu certainement d’autres motifs de se retirer que ceux qu’il a donnés. Lesquels ? On n’en sait trop rien. Toutefois une note publiée par les agences officieuses, la veille même de sa démission, a laissé filtrer quelques lueurs de la vérité. La note disait que jamais l’union n’avait été plus parfaite entre les ministres : naturellement on