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outre comme le doyen de leurs savans et de leurs écrivains, n’hésitent pas à faire de lui l’égal des premiers historiens de l’Europe; et de fait, M. Fruin est le digne émule des Freeman et des Sybel, de ces chercheurs infatigables qui se piquent avant tout d’être exacts, et de nous montrer les faits de l’histoire tels qu’ils ont été. Peut-être même M. Fruin les dépasse-t-il tous par la sûreté de son érudition, comme aussi par la sécheresse et l’austérité de sa forme. Des faits, toujours des faits, et rien que des faits : il n’y a guère autre chose dans ses mémorables ouvrages sur les Préliminaires de la guerre d’Indépendance, sur Motley et l’histoire des Pays-Bas, sur Une ville de Hollande au moyen âge. On ne saurait imaginer histoire plus savante, plus impartiale, ni plus complètement dépouillée de tout artifice d’imagination.

M. Fruin vient précisément de publier dans le Gids une longue étude en deux parties sur le Relèvement du catholicisme en Hollande au début du XVIIe siècle. Ce n’est encore qu’une série de documens, pour la plupart inédits, mais alignés à la suite l’un de l’autre sans crainte des longueurs ni des répétitions. La première partie de l’étude nous montre l’incroyable état de corruption où était tombé, vers le milieu du XVIe siècle, le catholicisme en Hollande. Nous voyons défiler une longue série d’évêques débauchés et prévaricateurs, de prêtres dissolus, de moines vivant publiquement avec leurs maîtresses. Mais lorsque, pour des motifs politiques plus encore que religieux, les États adoptent officiellement le culte réformé, et interdisent sous les peines les plus sévères l’exercice du culte catholique, tout change brusquement. Du jour au lendemain, un nouveau clergé catholique prend la place de l’ancien; la tiédeur, l’immoralité, cèdent la place à une foi ardente ; à la génération des mauvais prêtres succède une génération de martyrs.

Cette évolution du catholicisme en Hollande forme le sujet du second article de M. Fruin. Mais il convient de noter d’abord le caractère particulier qu’a tout de suite revêtu chez les Hollandais la persécution religieuse. « On ne saurait, dit M. Fruin, imaginer une persécution plus douce et plus tolérante : mais sur la question d’argent les États étaient intraitables. On ne tuait pas, on n’emprisonnait guère : on se bornait à exproprier. » N’est-ce pas là un trait curieux, bien caractéristique de cette nation, tolérante et pacifique, qui ne demandait absolument qu’à pouvoir s’enrichir en paix ?

Lorsque le concile de Trente eut réglé la tactique de l’église catholique en face des progrès du protestantisme, les catholiques de Hollande reprirent espoir. Ils avaient d’ailleurs à leur tête, dans la lutte nouvelle qu’ils engageaient contre la religion réformée, un homme d’une énergie et d’un courage admirables, Sasbout Vosmeer, le véritable restaurateur du catholicisme en Hollande. Nommé en 1583 évêque de Middelbourg, Vosmeer ne tarda pas à exercer dans toutes les provinces du