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taire, lui ont permis de rectifier certaines assertions de Bettina, et elles nous aident à mieux connaître Caroline de Günderode, ainsi que les romantiques qui l'avaient prise sous leur discipline, leurs principes, leurs aspirations, l'idée qu'ils se faisaient de l'art et de la vie humaine, et tout ce qu'il y avait en eux d'idées saines, d'instincts justes et d'imaginations chimériques ou perverses[1].

Caroline-Frédérique-Louise-Maximilienne de Günderode était la fille d'un baron qui avait composé des ouvrages d'histoire et des pastorales dans le vieux style  ; sa mère rimait à ses momens perdus, elle avait de qui tenir. Elle était née à Carlsruhe le 11 février 1780, et elle eut quatre sœurs et un frère. Après la mort de son père, on l'emmena à Hanau, où sa famille vécut sur un pied d'intimité avec toute la haute société de l'endroit et fut invitée à la cour, lorsqu'en 1797 le prince Guillaume de Cassel, qui avait épousé une sœur du roi de Prusse, y établit sa résidence. Nous savons par Bettina « que Caroline avait les cheveux bruns, les yeux bleus, ombragés de longs cils, et la douceur, la délicatesse de traits d'une blondine ; que son rire n'était jamais bruyant, mais ressemblait au roucoulement assourdi d'une colombe ; qu'elle ne marchait pas, qu'elle glissait ; que grâce à l'exquise douceur de ses mouvemens, sa robe formait toujours autour d'elle des plis harmonieux ; qu'elle avait la taille haute et élancée, mais qu'aucun mot n'en pouvait exprimer l'ondoyante souplesse. »

En 1797, elle fut reçue dans le chapitre des dames nobles de Francfort, contrairement aux statuts qui interdisaient d'y entrer avant l'âge de trente ans. Les chanoinesses, quoiqu'on ne leur imposât point la clôture, étaient astreintes à des observances presque monastiques. Elles devaient vivre dans la retraite, n'aller ni au théâtre ni au bal, s'habiller toujours de noir et ne recevoir que très peu de visites. Il y avait des accommodemens avec la règle : Caroline recevait beaucoup de visites et faisait de fréquens voyages. Peu après son admission dans le chapitre, sa grand'mère lui avait adressé de sages avis, lui avait enjoint de faire honneur à sa famille, d'observer toujours les convenances, de ne se lier qu'avec des personnes raisonnables, qui lui donneraient de bons conseils, de se répéter sans cesse qu'une réputation sans tache est pour une femme le premier des biens, et que rien n'est plus propre à la comjpromettre que les sorties nocturnes : « Que Dieu te bénisse et te gouverne par son Saint-Esprit ! Deviens une bonne chrétienne et une personne vertueuse : c'est plus important que tout. »

Caroline fut toujours irréprochable, elle n'a jamais fait d'accroc à sa réputation ; mais la morale de sa grand'mère lui semblait un peu courte. Si elle était prête à reconnaître que le témoignage d'une bonne [conscience a son prix, elle s'était dit depuis longtemps qu'il faut autre

  1. Karoline von Günderode und ihre Freunde, von Ludwig Geiger, 1895.