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de valeur, pour le soutien de la vie morale, que les assignats pour les usages de la vie matérielle. L’éducation publique n’a plus de fondement, en dépit de sa charte fameuse, le rapport de Condorcet sur l’enseignement. « En méditant sur notre situation intérieure et sur notre état social, je ne voyais pas sans peine que la morale publique et la morale privée ne portaient plus sur aucune base. La démagogie ne s’était pas contentée d’en négliger la conservation, elle les avait toutes sapées. Les chefs ne voulaient souffrir aucun frein à leurs propres passions, et, dans le vague de ses idées, la multitude se laissait aller à une espèce d’instinct machinal, lequel, faute de principes et de guides, lui faisait faire indistinctement le bien ou le mal, et plus souvent le mal que le bien... Il y a, à mon sens, deux choses essentielles pour parer à d’aussi funestes résultats : une religion et des institutions. » — Naturellement, le philosophe écarte « la superstition romaine, » celle qu’un « vil despote » va bientôt ressusciter pour opprimer et corrompre les hommes. Il la remplace par sa petite invention, « des dogmes et des rites d’une extrême simplicité, » et il s’en promet merveilles. Que n’aurait-elle pas donné si on l’eût laissée vivre? — « Saint-Sulpice, Saint-Germain-l’Auxerrois et d’autres temples encore se remplissaient tous les décadis de familles respectables de toutes les classes et particulièrement de la classe riche et éclairée. Tout annonçait la stabilité et la propagation d’un culte dont les résultats ne pouvaient manquer d’être heureux pour la morale et la liberté. Mais il faut aux tyrans la superstition, l’ignorance et la corruption! » — Le tyran eut la cruauté d’étrangler la théophilanthropie en plein essor.

Nous sourions aujourd’hui de ce naïf réformateur, qui fabriquait une religion comme Sieyès troussait une constitution, qui rêvait de substituer sa machine métaphysique à la règle de gouvernement individuel et social éprouvée depuis dix-huit siècles. Mais ne trouverait-on pas, autour de nous, d’intrépides Lareveillère, qui cherchent avec la même bonne foi, avec la même ingénuité, une autre machine artificielle pour étayer les ruines toutes semblables dont ils s’effrayent ? Combien elle est étroite, et combien toujours pareille, l’aire stérile où tourne, les yeux bandés, la mule obstinée qu’est parfois notre pauvre raison !

A partir de l’an III, les Mémoires ne quittent plus le ton de l’apologie ou du réquisitoire : apologie de l’auteur, de son ami Rewbell, des actes et des intentions de la majorité du Directoire, aussi longtemps que deux membres de ce corps effroyablement divisé se rangèrent aux sentimens de Lareveillère; réquisitoire contre les Thermidoriens, les Clichiens, les royalistes, contre les deux Conseils, contre Barras, Carnot et Bonaparte. Barras est