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UN PLAIDOYER POUR LE DIRECTOIRE

LES MÉMOIRES DE LAREVEILLÈRE-LÉPEAUX[1]

Ce pauvre Lareveillère ne fut jamais un homme avisé. Lorsqu’il mourut dans l’obscurité, en 1824, il mettait la dernière main au volumineux plaidoyer qui devait venger sa gloire, très menacée par les calomnies, par les brocarts, et plus encore par l’indifférence de ses contemporains. Il légua le soin de le publier à son fils Ossian, il lui recommanda de prendre les conseils de Daunou, « le meilleur prosateur de notre temps ». Ossian, excellent garde national, animé « de convictions, constitutionnelles toujours, et révolutionnaires en cas seulement de la plus absolue nécessité, » Ossian craignit d’ébranler la monarchie de Juillet avec un livre fort sévère pour l’ancien parti d’Orléans; il mit le manuscrit sous clef de 1830 à 1848. Vint ensuite un gouvernement qui rendit « impossible une publication aussi peu conforme au culte des idées napoléoniennes. » Après 1870, l’ouvrage fut donné à l’impression; il n’est, pour une bonne moitié, qu’un réquisitoire amer contre Lazare Carnot; des influences. s’entremirent, Ossian recula devant le fâcheux effet que produirait son brûlot. A sa mort, en 1875, un seul exemplaire du premier tirage subsistait, celui de la Bibliothèque nationale. Ses légataires, retenus par les mêmes scrupules, ne s’en sont affranchis qu’après la fin tragique de notre avant-dernier président.

L’ombre de Lareveillère, enfin libérée, nous revient avec le centenaire du Directoire. Abusée une fois de plus par les apparences, comme elle le fut à maintes reprises de son vivant, elle a

  1. Mémoires de Lareveillère-Lépeaux, 3 vol. in-8o; Paris, 1895 , Plon et Cie.