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affaissée sur son cercueil. Souriant et impassible, le Guide divin répond par ces paroles plus redoutables qu’un arrêt : « Tu sais, maintenant ; sois ton propre juge. »

III. Le jugement ou la seconde mort. — L’âme séparée du corps, éclairée par la mémoire divine de l’esprit, voit déliler devant elle toute sa vie, et, devenue étrangère à son passé, se juge sous cette clarté implacable. Alors, elle va où elle doit aller, selon les affinités engendrées par ses actions, ses volitions et ses pensées secrètes, et cela par une loi aussi naturelle, aussi infaillible que celle qui fait rebondir le liège sur l’eau et le plomb s’y enfoncer. Cette conception d’une psychologie profonde, les Égyptiens l’expriment par le jugement de Toth (Hermès) symboliquement figuré dans une vignette du Livre des morts et reproduit en peinture dans plusieurs tombeaux de rois à Thèbes. Le lieu du jugement est appelé « salle de la Vérité ». Le juge Osiris, assis sur son trône, le sceptre et le fouet en main, figure l’esprit divin présent dans l’homme lui-même. Toth (Hermès), jouant ici le rôle de témoin et de greffier, apporte les tablettes qui sont nommées « les mystérieuses archives des dieux. » Or, ces archives signifient ésotériquement l’éther subtil, où les actions, les désirs et même les pensées de l’homme s’impriment comme des images plus ou moins fortes et durables selon leur fréquence et leur intensité. Ces images ravivées par Hermès (le Génie-Guide) se déroulent devant l’âme comme un vaste tableau. Les deux génies Schaï et Ranen (Fatalité et Bonheur) surmontent un groupe hiéroglyphique signifiant Renaissance. Pour savoir de quel côté l’homme a penché, Hermès met dans un plateau de sa balance le cœur de l’homme, dans l’autre la statue de la Vérité. Ce sont les intentions secrètes, non les actions elles-mêmes qui décident de la destinée future de l’âme. Ceux qui se sont endurcis dans le mal jusqu’à perdre tout sens de la vérité ont tué en eux-mêmes le dernier souvenir de la vie céleste, ils ont coupé leur lien avec l’esprit divin, ils ont prononcé leur propre anéantissement, c’est-à-dire la dispersion de leur conscience dans les élémens[1]. Ceux en qui le désir du bien subsiste, mais dominé par le mal, se sont condamnés eux-mêmes à une nouvelle et plus laborieuse incarnation. Ceux, au contraire, en qui l’amour de la vérité et la volonté du bien l’ont emporté sur les instincts d’en bas, sont prêts pour

  1. D’après la plupart des doctrines mystiques, cet anéantissement graduel dure des siècles, car les âmes méchantes, devenues démoniaques, sont animées d’une volonté puissante pour le mal et ne se désagrègent qu’avec le temps, parce qu’elles manquent du centre cristallisateur, de l’esprit divin. Conséquente avec sa curieuse théorie, la doctrine égyptienne fait anéantir l’àme des méchans par leur propre génie armé du feu divin.