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em-Kou, c’est-à-dire le Gardien du Soleil levant. Il en est l’image et le témoin. Harmakouti, que les Grecs appelèrent Harmakis, personnifie la jeune lumière qui chasse les ténèbres. C’est le soleil dévie, le génie de toutes les renaissances, à la fois Ammon-Râ et Horus, l’Esprit divin et sa manifestation, dont le pharaon, lui aussi, devait être le fils, le Hor, l’incarnation vivante. Au temps de l’Ancien Empire, le sphinx, dont la face est tournée vers l’orient, était couronné d’un disque d’or. Quand le soleil du matin jaillissait de la chaîne arabique, son premier rayon allait frapper le disque et le visage du sphinx, qui resplendissait alors comme un soleil à face humaine, ou comme un dieu auréolé de flammes. Des coups de cymbale et des fanfares retentissaient dans le temple de granit et d’albâtre, aux piliers carrés et nus, et les prêtres vêtus de blanc, montant vers le sphinx par le dromos en pente douce, entonnaient l’hymne mâle et pur : « Tu t’élèves bienfaisant, Ammon-Râ Harmakouti. — Tu t’éveilles véridique, seigneur des deux horizons, — tu resplendis et tu flamboies, — tu sors, tu montes, tu culmines en bienfaiteur. — Les dieux et les hommes s’agenouillent devant cette forme qui est la tienne, ô seigneur des formes ! — Viens vers le pharaon, donne-lui ses mérites dans le ciel, sa puissance sur la terre, — épervier saint à l’aile fulgurante, — phénix aux multiples couleurs, — coureur qu’on ne peut atteindre au matin de ses naissances[1]. »

Il est probable que les races, dont les civilisations précédèrent la domination de la race blanche sur la terre, adorèrent le dragon à cause de la terreur que les ptérodactyles antédiluviens inspirèrent aux premiers hommes. Celui qui osa placer une tête humaine sur un corps de lion, pour en faire un dieu, créa un symbole auguste. Trouva-t-on jamais une plus frappante image de la nature en évolution couronnée par l’humanité ? Tout ce que la science moderne nous dit en formules encore incertaines sur le développement des espèces et sur les origines terrestres de l’homme n’est-il pas ramassé dans cette image du sphinx ? Elle est là, cette nature terrestre, avec ses griffes cruelles et son corps puissant, appuyée sur le sable marin d’où sortirent tous les êtres, rivée au sol dur dont le limon est sa substance en travail ; mais que de noblesse, de calme et de conscience dans sa tête qui regarde le soleil levant de l’esprit et de l’éternelle vérité ! — Par quelle puissance s’accomplit l’immense travail qui fait pousser la tête du dieu sur le corps du lion terrible ? — Force aveugle, lutte pour la vie, sélection des forts, fatalité des milieux, disent les disciples de Darwin. Influx d’isis, la grande âme du monde,

  1. Hymne découvert pur Grébaut, traduction de Maspéro.