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vient ainsi le plus éloquent symbole du néant de toute matière et de toute chose visible. Deux soupiraux obliques, ménagés dans l’épaisseur de la pyramide, aèrent la chambre funéraire. L’un est exactement orienté sur l’étoile polaire.

Ce mausolée monstre, considéré à juste titre par les Grecs comme une des merveilles du monde, suppose une science architecturale de premier ordre. « Personne ne peut examiner l’intérieur de la pyramide, dit Fergusson, sans être frappé d’étonnement par l’admirable habileté mécanique qui a été déployée dans sa construction. Les immenses blocs de granit apportés d’Assouan à une distance de cinq cents milles, polis comme du verre et façonnés de telle sorte qu’on peut à peine découvrir leurs interstices ! Rien n’est plus merveilleux que l’extraordinaire quantité de science mise en œuvre dans la construction des chambres de support, au-dessus du plafond de la chambre principale, dans l’alignement des galeries en pente, dans la sage disposition des couloirs du vestibule et dans l’accord de toutes les parties de l’édifice. Elles sont toutes exécutées avec une telle précision que, malgré l’immense poids de l’ensemble, pas une pierre n’a cédé d’un pouce. Jamais, depuis ce jour, rien de plus parfait n’a été construit au point de vue mécanique. »

Voilà pour la puissance d’exécution. Mais toute forme architecturale exprime une pensée. Les Égyptiens sont les premiers et les plus forts symbolistes du monde. Ils n’ont jamais taillé une pierre sans y loger une idée. Ce monument qui résume leur génie et leur religion demeure énigmatique au premier abord. Toutefois, sa forme éveille sur-le-champ l’idée de l’Immuable et de l’Eternel dans sa formidable abstraction. Ce n’est pas l’image du Dieu vivant, mais la figure géométrique de la Loi, le pentaèdre de l’Absolu. Quant à l’intérieur, il déroute, il accable. Cette descente dans le noir, cette remontée laborieuse aboutissant à un caveau vide, quelle image condensée de la vie humaine, de cette poussée douloureuse au cœur du mystère qui semble finir au tombeau, dans la chambre du néant !

Mais sortons du sépulcre massif et cherchons d’autres signes qui nous aideront peut-être à comprendre la froide figure de l’Absolu. Avançons sur les grandes houles de sable qui vallonnent les abords de la pyramide. Voici s’ouvrir, à quelques pas, un grand puits carré large de huit mètres, profond de seize. On dirait une fosse aux lions ; ce n’est qu’une large sépulture[1]. De qui ce tombeau ? On ne sait ; peut-être des prêtres qui desservaient le temple voisin d’Isis. Un Bédouin se laisse glisser avec une agilité

  1. Elle fut découverte en 1837 par le colonel Wyse. On l’appelle Tombeau de Campbell, du nom du consul général anglais d’alors au Caire.