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le mysticisme coule à pleins bords et roule au milieu de nous des flots troubles et orageux. Mouvement légitime, nécessaire, d’immense portée. Il se tromperait cependant s’il croyait pouvoir ébranler la citadelle de la science. Il ne peut rien sur sa base ; il pourra beaucoup sur sa méthode et son objet. Il la forcera à élever son observatoire en assises grandissantes. La science est indestructible dans son principe, mais il faut qu’elle soit complète. À la science de la matière ajoutons celle de l’âme et de l’esprit, et ces deux dernières sont encore dans l’enfance chez nous. La Vérité est une ou elle n’est pas. Si la science et la religion, si la nature et la morale, si l’univers et l’homme sont deux termes irréductibles et sans principe supérieur, ils sont faux l’un et l’autre, pure chimère et néant. La science abstraite est un verbe inanimé ; elle isole et disperse. Mais la Sagesse, qui estla science de l’Amour appliquée à l’âme et à l’humanité, unit et concentre ; elle est le verbe vivant. Rendons justice à la science moderne, fille de Bacon et de Descartes, de s’être établie sur le roc de l’expérience et de la raison. Ainsi elle a pu mesurer les pieds de la grande Isis. Il lui reste à remonter au cœur et à la tête de la déesse.

En ces conjonctures et grâce à cette orientation nouvelle de l’esprit contemporain, l’Égypte ancienne prend une importance inattendue à nos yeux. Placée comme un phare entre l’Asie et l’Europe, entre l’Orient et l’Occident, elle en éclaire les routes les plus lointaines. Par-dessus tout, la doctrine des temples d’Osiris, d’Isis et d’Ammon-Râ nous apparaît comme un haut symbole, comme un exemple prophétique de l’unité primordiale et finale de la science et de la religion.

Pourquoi ces pensées mères me reviennent-elles aujourd’hui et pourquoi suis-je forcé de les écrire presque malgré moi, alors que j’aimerais bien mieux m’échapper dans la liberté des images et des rêves ? Elles m’ont obsédé au cours d’un voyage sur le Nil, en présence des monumens de la terre des Pharaons. Depuis mon retour, la lecture des admirables travaux de nos savans m’a confirmé plus d’une fois dans ces idées. N’étant pas égyptologue, je ne saurais avoir la prétention d’apporter les preuves complètes et définitives à leur appui. On verra simplement dans ces pages comment elles peuvent naître intuitivement des impressions vivantes d’un voyageur attentif. Puissent du moins ces souvenirs communiquer à quelques-uns de mes lecteurs un rayon de la force et de la sérénité qui émanent encore des temples augustes de cette terre ensoleillée !