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Journal, etc. Nous ne pouvons ici étudier tous leurs procédés; mais il y en a un qui est très employé, et qui réussit souvent! Il consiste à partir d’une donnée très simple, un fait d’« actualité », un vote de la Chambre, un jugement rendu par un tribunal, une candidature à l’Académie, une course de bicyclettes, un projet industriel, et à déduire de là, avec une logique rigoureuse, les conséquences les plus extrêmes. On arrive ainsi à des trouvailles parfaitement cocasses. Par exemple, le chroniqueur prend pour point de départ une idée qu’il trouve dans le Matin : l’idée de créer des marchandises-monnaies, ayant une valeur fixe comme l’or, et par exemple un charbon-monnaie. De cette donnée il déduit les conséquences suivantes :

— Première conséquence : « Vous déjeunez à la Maison d’Or, et Gustave vous apporte une modeste addition dans les huit francs : immédiatement vous tirez de votre gousset trois hectolitres de coke, et vous laissez, comme pourboire, une demi-douzaine de briquettes économiques. Exiger neuf trous. »

— Deuxième conséquence : Vous avez un versement important à faire : « Vous sortez de votre portefeuille une liasse de sacs de charbon de terre. »

— Troisième conséquence : Vous montez en tramway : « Votre voisin se fera un plaisir de passer au conducteur les trois petits paquets de margotins que vous prendrez dans votre poche à menue monnaie. »

— Quatrième conséquence : « Si le soir vous allez au théâtre, rien ne vous empêcherait de payer votre fauteuil avec du poussier de motte; une douzaine d’allume-feux à l’ouvreuse. »

— Cinquième conséquence: On emportera « quelques fagots pour les mendians. »

— Sixième conséquence : On n’en restera pas au charbon-monnaie : il y aura une foule d’autres « denrées » monnaies. Et alors « pour la monnaie de 500 francs par exemple on vous donnera : des bois et charbons, avec des denrées alimentaires et des pavés, de la réglisse, des laissés-pour-compte de tailleurs, des sucres de pomme et des billets de faveur pour l’Éden, des faux Rembrandt, et, cela va sans dire, des numéros du Times, puisque Time is money. »

Est-ce là l’idéal de la finesse et de la grâce dans la plaisanterie? Ce serait à discuter. J’ai choisi cet exemple, parce que le procédé y est grossièrement visible : il s’agit d’extravaguer logiquement. Comme le dit M. Jules Lemaitre, ce sont des inventions de fou dialecticien. C’est aussi méthodique que déraisonnable. On se propose d’amener des formules qui soient d’un côté absurdes et de l’autre naturelles, absurdes par leur sens, naturelles par la déduction