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Un personnage à mine joviale était en effet sur l’échafaud. Il avait attiré le pendu à lui, et il écoutait, son oreille posée sur la poitrine. Après quelques instans de cette auscultation dernière, il prononça : « C’est fini, » en laissant retomber le supplicié, que le shériff arrêta au passage en disant, avec le même flegme que s’il eût été un portefaix parlant d’une malle :

— Il faut que j’enlève ce corps maintenant.

Le vieil homme reprit alors sa hache. D’un coup net il trancha la corde juste au-dessus de la tête toujours voilée. Quatre assistans de bonne volonté reçurent le fardeau entre leurs bras et l’emportèrent du côté du cercueil, tandis que les autres témoins de ce dernier acte du drame, rendus à leur vraie nature par la disparition de la dépouille de Seymour, se disputaient les morceaux de la corde et les courroies de cuir. Le colonel et moi nous eûmes tôt fait de fuir cette sinistre bagarre, et il me disait :

— Je ne vous propose pas de vous remettre à votre hôtel dans ma voiture. Ma fille m’a fait promettre de rentrer aussitôt, afin de savoir si ce pauvre garçon a fait sa prière avant de mourir. Voici quarante-huit heures qu’elle en est malade. Ah ! c’est une grande consolation pour nous qu’il se soit repenti et qu’il soit sauvé…


Paul Bourget.