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nouvel assistant qui n’était autre que le colonel Scott. Le moment où il apparut dans le couloir fut celui même où le shériff passait au condamné la chemise neuve, la livrée du supplice. Le torse brun du misérable se montra, pareil, dans sa maigreur musclée, à quelque fragment d’une statue de bronze. Quoique son bras blessé, — d’une blessure pourtant légère, — ne lui permît que des mouvemens gênés, la souplesse d’un félin sauvage se devinait au simple jeu de ses muscles, et le bras resté intact, les épaules, la poitrine, étaient d’un admirable modelé. Cette chair si robuste, si saine, si jeune, à qui les secondes étaient comptées, frémit d’un léger frisson au contact de la toile fraîche. Ce signe de délicatesse nerveuse donnait plus de valeur encore au courage que ce garçon de vingt ans déployait dans ces préparatifs. Mr. Scott les suivit comme moi sans dire un mot. Il m’avait serré la main à son arrivée et n’avait pas paru plus étonné de me voir là que moi de l’y rencontrer. Lorsque Seymour eut lavé ses mains et son visage, donné un coup de peigne à ses cheveux et mis lui-même ses bras derrière son des pour que le shériff les attachât, le colonel interpella ce dernier :

— Voulez-vous me laisser seul avec Henry quelques minutes ? demanda-t-il.

— Oui, colonel, dit le vieil homme qui consulta sa montre. Nous avons fixé la chose à deux heures moins un quart, et il n’est pas une heure et demie.

— Je vous remercie, reprit Mr. Scott, nous n’en avons pas pour longtemps.

Lorsque l’ancien maître entra ainsi dans la cellule de l’ancien domestique, une idée romanesque s’empara de moi. Je me rappelai notre conversation de l’a vaut-veille, et je m’imaginai soudain qu’il apportait au condamné de quoi éviter la potence et les dernières douleurs, une arme chargée, un poison foudroyant. Je calomniais le fidèle du président Lincoln, le descendant, demeuré mystique, d’une race de chrétiens passionnés. À peine la grille refermée derrière lui et sans souci des gens qui pouvaient le regarder, le colonel s’était mis à genoux sur le pavé. Il avait aidé Seymour à en faire autant et il commençait : — Notre Père… — Notre Père… — répétait le mulâtre. — Qui êtes aux cieux, que votre volonté… — Qui êtes aux cieux, que votre volonté, — et la suite. Le colonel prononçait les phrases de l’oraison d’une voix forte. L’autre les répétait d’une voix un peu sourde, une voix zézayante d’enfant, et jusqu’à leur attitude révélait la différence des deux êtres : Mr. Scott, droit et comme debout sur ses genoux, Seymour comme accroupi et abandonné sur les siens.