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coton et du fer. Les grandes industries dans l’Est se déclaraient atteintes dans leurs forces vives par le nouveau tarif. A la fin de septembre, M. Carnegie, le grand industriel, se déclarait contraint, par la nécessité de lutter contre la concurrence anglaise, à imposer à ses ouvriers, dans ses vastes ateliers métallurgiques de Homestead, une réduction de salaires, et de semblables avis étaient publiés dans presque toute l’Amérique. Une inquiétude vague continuait à planer sur toutes les affaires. On ne pouvait se soustraire à la crainte que bientôt n’éclatât une nouvelle crise monétaire. Vaincu par l’abrogation de la loi Sherman, le parti argentier préparait une revanche. On n’en avait pas fini avec la question du libre monnayage de l’argent, liée plus ou moins étroitement à celle d’une entente bimétallique internationale. Les augures pessimistes dénonçaient déjà les prodromes de la future crise, la baisse toujours plus accentuée des prix, la désorganisation de tout le système des chemins de fer, la recrudescence des expéditions d’or en Europe.

Cet état général des esprits aux Etats-Unis explique le grand cyclone électoral de novembre. Le scrutin a donné au parti républicain une énorme majorité pour le prochain Congrès; les démocrates ont été écrasés avec les populistes, subissant la peine du mauvais état des affaires; la route est barrée aux extravagances du parti de l’argent. Les élections étaient à peine terminées que le président et le secrétaire du Trésor ont émis un emprunt de 50 millions de dollars qui, offert en adjudication au-dessus du pair, a fourni, grâce à son taux élevé d’intérêt et à la prime consentie par les acquéreurs, un capital de 300 millions de francs. Aussitôt la fameuse réserve des greenbacks s’est trouvée relevée au-dessus de son ancien niveau minimum de 100 millions de dollars, après qu’elle était descendue en août dernier à 53 millions. Il est vrai que déjà, en quelques semaines, elle est redescendue à 65 millions. On ne désespère pas encore, car les nouveaux droits sur le sucre ont tardé à produire, à cause des importations excessives qui avaient précédé le vote du tarif. Quant à l’impôt sur le revenu que les démocrates ont ajouté comme appendice au tarif douanier, on ne peut compter qu’il donne rien avant une année. Les amis du gouvernement fédéral proclament que, lorsque la législation nouvelle sera devenue pleinement effective, les États-Unis connaîtront de nouveau les anciens surplus annuels de 50 à 60 millions de dollars. Ce retour de prospérité, s’il se produit, n’excitera pas la jalousie de l’Europe, car il y a trop longtemps que pèse sur notre état économique cette crise américaine.


AUGUSTE MOIREAU.