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complet des forces industrielles. La suprématie de l’Angleterre est gravement atteinte au point de vue du marché des laines et de l’industrie cotonnière. Partout les connaissances générales et spéciales se répandent, l’éducation professionnelle se développe, les moyens d’action grandissent et se fortifient. Ces progrès donnent aux peuples les moins avancés le désir et la possibilité d’un affranchissement rapide, les poussent à répudier toute tutelle étrangère, à briser les liens de dépendance dans lesquels ils étaient autrefois enserrés, à conquérir la liberté et la puissance commerciales. De quelque côté que se retourne le regard, on les voit faire de prodigieux efforts pour élever sur leur territoire des usines et des fabriques, pour y organiser de vastes marchés. Il faudra compter de plus en plus avec cette volonté universelle de créer des industries nationales.

« Le resserrement progressif des débouchés extérieurs, jadis réservés aux grandes nations du vieux monde, provoque d’ailleurs entre ces nations une lutte acharnée. Munies d’un outillage considérable, elles se disputent pied à pied la carrière encore ouverte leur expansion, s’arrachent une clientèle chaque jour plus restreinte, subissent les plus lourds sacrifices afin d’alimenter leurs machines et de nourrir leurs ouvriers. Toute supériorité acquise détermine des concurrences d’autant plus redoutables qu’elle est plus lucrative. Quel pays désormais pourra se prétendre en possession définitive d’un monopole? La fabrique de Lyon, avec ses mérites hors pair, avec ses succès séculaires, a-t-elle empêché la constitution et le prompt développement d’industries similaires aux Etats-Unis et en Allemagne ? »

Il est aisé de comprendre, à la lumière de ces considérations, comment la direction de notre commerce extérieur ne s’est pas sensiblement modifiée durant les derniers mois de 1894. Nous avons continué d’introduire en plus grande quantité que l’année dernière des denrées alimentaires, des matières nécessaires à l’industrie, même des objets manufacturés. D’autre part, les débouchés extérieurs se sont encore restreints pour les produits de nos usines, et malheureusement ce n’est pas dans un avenir rapproché que le Tonkin, le Congo, Madagascar, si légitimes et respectables que soient les rêves où nous nous complaisons touchant les résultats futurs de notre expansion coloniale, pourront compenser ce que nous perdons pour ainsi dire à nos portes.

Le protectionnisme n’empêche pas les marchandises étrangères de pénétrer chez nous ; il fait seulement que nous les payons plus cher. En revanche, il suscite des représailles, provoque des relèvemens de droits dans les tarifs étrangers, multiplie des obstacles devant les efforts de nos commerçans et de nos industriels.