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lui déjà bien tardive, c’est-à-dire sur la baisse ininterrompue des prix de gros de toutes les denrées internationales.


VI

Cette baisse des prix s’est continuée de juillet à octobre et ne s’est guère atténuée depuis. Les différences sont assez minimes : il est curieux seulement qu’elles se soient produites en un moment où s’accusaient des symptômes d’amélioration dans l’état général du commerce. Comme on est arrivé, selon quelque vraisemblance, au point le plus bas de la dépréciation, on peut supposer que cet énorme abaissement de valeur a été déterminé surtout par les réductions survenues depuis 1890 dans le prix des quatre élémens de la production : matières premières, combustible, main-d’œuvre et transports. Toutes les sortes de fer et d’acier fabriquées en Angleterre ont diminué en moyenne de 20 pour 100 jusqu’en 1893, et la dépréciation s’est poursuivie en 1894. Aux États-Unis la diminution a été bien plus forte : si les maîtres de forges de l’Alabama n’avaient pas à compter avec l’énormité des distances, ils feraient une concurrence redoutable à la production anglaise, grâce à une main-d’œuvre d’un prix extrêmement réduit, car ils arrivent à produire, à 4 ou 5 shillings meilleur marché, les mêmes qualités de fers bruts. Le cuivre, l’étain, le plomb, le sucre, le thé, le coton, la laine, la soie, ont presque uniformément baissé. Quelques rares articles, comme le café et les viandes, ont seuls conservé leurs prix d’il y a quatre ans. Cet amoindrissement général de valeur explique comment la contraction du commerce est due en grande partie à la diminution des évaluations, alors que le volume des transactions s’est en beaucoup de points maintenu, en quelques autres même augmenté.

Les économistes des diverses écoles n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord sur l’explication du phénomène. Les uns n’y veulent apercevoir que l’effet d’une surproduction universelle et la résultante de tous les progrès scientifiques appliqués aux mille occupations de l’industrie, à l’exploitation des mines et au traitement des minerais, à la culture du sol, au développement des moyens de transport. Les protectionnistes et les bimétallistes s’en prennent à un facteur unique, la prédominance artificielle de l’étalon d’or dans le régime monétaire des grands pays civilisés. Si les marchandises ont baissé de valeur, il n’y a là, disent-ils, qu’une apparence, car il s’agit de la valeur en or, et en réalité c’est l’or qui a haussé de valeur en devenant plus rare par rapport aux besoins d’achat. La baisse des prix de gros a commencé avec la démonétisation de l’argent, et s’est accentuée