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Enfin, ce soir, qui est mon dernier soir à Saint-Sébastien, j’assiste au défilé des petits miquelets d’Alphonse XIII, de ce bataillon d’enfans de Saint-Sébastien, formé sur le désir du jeune roi, et qu’on appelle ici : El batallon infantil. Je le vois dans tout son éclat, au milieu d’une retraite aux flambeaux, — car il est entendu que nous sommes toujours en fête, — et je suis surpris de la tournure militaire de ces gamins de dix à quinze ans. Ils sont armés de fusils Mauser, modèle réduit, vêtus d’une tunique bleue, d’une culotte rouge, chaussés de jambières et de brodequins noirs et coiffés du béret. La tentative, qui eût peut-être échoué ailleurs, et tourné vite au ridicule, a réussi dans ce pays essentiellement militaire. On a flatté le peuple basque en lui demandant d’habiller ses enfans en soldats, de les conduire à la parade et de les faire manœuvrer sous les yeux du roi. Toutes les classes de la société sont représentées dans les rangs et dans les cadres du bataillon. Ils passent, au pas relevé, éclairés par les torches et les lanternes de couleur, tous sérieux : les 8 trompettes, les 20 tambours et le tambour-major qui s’appelle Nicolas Aguirre, les 26 musiciens, qui ne savent que trois airs, la marche royale et deux autres, les 400 sous-officiers, caporaux et simples lignards, la blonde et jolie cantinière de douze ans, Constantina Serfo. La population de Saint-Sébastien les regarde avec tendresse, les reconnaît, les nomme, et les suit à travers la ville. Moi, je les regarde aussi avec plaisir parce qu’ils sont jeunes et de bonne mine, avec un peu de mélancolie quand ils s’éloignent et s’effa- cent, en songeant à tant d’efforts que font les rois pour se faire aimer, et à cette œuvre nécessaire, presque simple autrefois, presque impossible aujourd’hui, de l’union des esprits.


IV. — LOYOLA


Bilbao, 16 septembre.

Je pars de Saint-Sébastien par le train de huit heures du matin, ligne de Madrid, et, deux heures après, je suis à Zumarraga, qui est un gros bourg pyrénéen, avec des maisons à long toit, des plumets d’arbres pointant au-dessus, des hommes qui ont l’air contens de vivre et un bruit d’eau courante, la cigale de ces pays-là. Les moulins se taisent, parce que c’est dimanche. Une diligence attend les voyageurs, ou plutôt les voyageurs attendent une diligence à cinq mules, qui porte, sur son coffre, écrit en lettres rouges : Zumarraga, Azcoïtia, Loyola, Azpeïtia. Je suppose que les modèles se sont transformés, depuis Dumas et Théophile Gautier, car la voiture ne ressemble aucunement à celles que nous