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pour moi: « Roi de Guipuzcoa et roi de Gibraltar. » Une des pièces qui suivent me reporte aux longues difficultés et contestations auxquelles donna lieu la délimitation de la frontière française, sur la Bidassoa. Le fleuve était-il espagnol? Etait-il seulement espagnol jusqu’au milieu de son lit, comme on a fini par l’admettre?

Les alcades et les jurés majeurs de Fontarabie ne doutaient pas que leur juridiction ne s’étendît sur tout le cours du fleuve, et ils trouvèrent occasion de l’affirmer, lorsque le duc de Mayenne, revenant de Madrid, où il avait conclu le mariage de Louis XIII avec Anne d’Autriche, témoigna le désir de visiter la petite cité forte qui regarde notre Hendaye. Ils vinrent au-devant de lui, en gabarre, jusqu’à Irun, tenant hautes leurs cannes de justice — dit le procès-verbal — le 18 septembre 1612, la marée étant pleine aux deux tiers. Pendant que la marée achevait de monter, ils ramenèrent le duc et sa suite vers Fontarabie, l’y firent entrer au bruit des salves d’artillerie et de mousqueterie, et, après lui avoir fait faire le tour de l’église, des murailles et des rues de la ville, ce qui ne demanda pas beaucoup de temps, le reconduisirent à Hendaye. Etait-ce une simple coïncidence heureuse, ou bien avaient-ils calculé la longueur de la visite et choisi l’heure du départ: la marée était pleine alors, et refoulait l’eau de la Bidassoa assez loin sur l’une et l’autre rive. Les deux bons alcades montèrent dans le même bateau que le duc de Mayenne, s’assirent l’un à la gauche, l’autre à la droite de Sa Seigneurie, traversèrent le fleuve entièrement, et se montrèrent assurément les plus courtois du monde : mais jusqu’au bout, même quand la gabarre eut donné de la proue contre la terre française, même quand ils prirent congé du prince, ils ne cessèrent de tenir hautes leurs cannes de justice, en foi de quoi ils rédigèrent un long procès-verbal, authentique, signé, paraphé, devant témoins. Le trait est tout à fait espagnol. Cette politesse réfléchie, qui affirme un droit en rendant un hommage, cette science de la tradition, ce goût du cérémonial symbolique, cette dignité d’attitude d’un maire de petite ville, vis-à-vis d’un prince du sang, ne les retrouverait-on pas aujourd’hui, d’une extrémité à l’autre de la péninsule, comme au XVIIe siècle?

Grâce à mon guide, encore, je puis pénétrer dans le vieux couvent de Sant’Elmo, transformé en magasin d’artillerie. Là où fut l’église, sous les voûtes aux nervures fines, quelques soldats composent des trophées et ornent des manches de torches, pour une retraite aux flambeaux. Sur le sol, pêle-mêle, dans l’épaisse poussière humide que personne n’a jamais songé à enlever, gisent