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dis pas que tous les cœurs soient changés, ni que les Basques, partisans des fueros que détruisent un à un les ministres, votent en faveur du gouvernement de Madrid. Je dis seulement que la reine est partout respectée, que ce peuple de paysans et de marins, qui s’y connaît en chevalerie, est fier de la confiance que Marie-Christine a mise en lui. Entre elle et lui, il y a maintenant comme un lien personnel. On le devine quand elle passe ainsi dans la foule, sans aucune garde que la loyauté des adversaires de sa dynastie. Ils la défendraient au besoin. Dernièrement, le bruit ayant couru que des anarchistes se proposaient d’attenter à la vie de la reine, des paysans, des gens de la rue firent une sorte de faction aux approches du palais, pendant plusieurs jours, et, ayant aperçu un homme de mine suspecte, le rossèrent d’importance, sans autre explication, puis le laissèrent aller.

L’histoire de ce palais commence à peine, puisqu’il n’a été achevé qu’en 1893. L’idée de le bâtir fut toute personnelle à Marie-Christine, et modifiait les habitudes de la souveraine elle-même. Les rois d’Espagne, jusqu’à présent, choisissaient, pour résidence d’été, des châteaux grands comme des villages : l’Escorial aux 11 000 fenêtres ouvertes sur les montagnes, la Granja, dont les jardins abondent en belles eaux, Aranjuez avec son avenue d’ormes noirs. Alphonse XII aimait le Pardo, situé en forêt, entouré d’un parc de 80 kilomètres de circonférence, où se peuvent chasser toutes sortes de gibier, les loups compris. On fut très étonné quand la jeune reine régente, deux ans après son veuvage, laissant là ces splendeurs historiques, traversa le royaume jusqu’à la frontière du nord, et vint passer un mois et demi à Saint-Sébastien, du 13 août au 25 septembre 1887, dans une des villas qui couronnent les hauteurs. L’année suivante, elle y passait deux mois. En 1889, elle ordonnait de commencer les travaux du palais de Miramar. Celui-ci a coûté trois millions de piécettes. Là où il s’élève, existait autrefois un couvent, détruit pendant la guerre de 1832, et d’où était partie, pour l’extraordinaire aventure que nous a contée M. de Heredia, la fameuse Catalina de Erauso, la nonne Alferez. Des personnes très bien informées que j’ai interrogées, la première m’a dit que l’auteur des plans était un Autrichien, je crois, M. Selden Wornum ; la seconde, que l’architecte ordinaire, un Basque de grande réputation, s’appelait M. José de Goicoa; la troisième, que le style adopté, et amendé par la fantaisie, était celui des cottages anglais du temps de la reine Anne : tous ont ajouté, avec un mouvement d’amour-propre, que Marie-Christine aimait sa nouvelle résidence, qu’elle y vivait simplement et « confortablement », — le mot me faisait sourire,