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geste si bien appris, d’une grâce enfantine si drôle et si aisée, que les assistans se sont mis à rire discrètement. La cérémonie n’a pas été longue, quelques secondes au plus. La petite main, trois fois baisée, a saisi la rampe; le roi d’Espagne a sauté les marches trois par trois, et a couru sur le sable, suivi des deux lévriers, vers un chariot à claires-voies, peint en blanc, que la mer, très douce et montante, touchait du bout de ses lames étalées. « Comme il est gentil ! » disaient les bonnes dames en mantille, mes voisines. Et leurs mains se joignaient d’émotion admirative, et, de leurs yeux noirs, elles accompagnaient l’enfant, tête blonde, là-bas, qui ne pensait guère aux curieux.

La reine aussi le regardait, debout) sous la véranda du chalet. Lui, sautait à pieds joints dans le chariot blanc, le faisait balancer un peu sur les rails de fer, se penchait, surveillé par un des officiers monté avant lui, se laissait cerner par la mer, attendait que la vague se fût retirée et sautait de nouveau à terre. L’infante aussi grimpait sur le plancher entouré d’eau, mais peureusement, et se fatigua vite de ce jeu de garçon.

Au bout de trois quarts d’heure, le grand bain d’air pur était terminé sans doute. La reine est descendue sur le sable, et le chalet aux toits blanc et bleu, tiré par un câble, est remonté jusqu’au haut de la plage. Puis elle a pris place, avec le roi, l’infante, les officiers, dans le chariot blanc, qui s’est mis à rouler, lui aussi, sur les rails. Brusquement, au milieu de la course, le treuil s’arrêta. La secousse faillit renverser les six voyageurs. Un lieutenant de vaisseau tomba sur les genoux, un autre fut sur le point de piquer une tête sur le sable, l’infante se trouva assise dans la boite : la reine plia seulement la taille, l’accident imprévu la laissa gracieuse, et elle riait pleinement, tandis que le jeune roi, ravi, se levait sur ses pieds et agitait son mouchoir pour commander au treuil de continuer la marche.

Je quitte la plage après que la famille royale, qu’un landau est venu chercher, a pris la route du palais. Je songe à la reine d’Espagne, à toute l’énergie qu’il lui a fallu pour prendre la régence, dans un moment et dans un pays où une hésitation entraînait une révolution, à l’esprit de suite et d’adresse qu’elle a montré depuis. N’est-ce pas une habileté, une sorte de coquetterie royale, et qui a réussi, que ce choix de Saint-Sébastien pour résidence d’été? La reine avait dix palais au lieu d’un, consacrés par la tradition, situés dans des provinces dont la fidélité était acquise. Elle a préféré rompre avec le passé, et, résolument, elle est venue habiter en plein centre carliste, en Guipuzcoa, dans cette Bretagne espagnole. On l’en a blâmée, mais la crânerie a plu. Je ne