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puissantes. Toutes, en entrant dans l’eau, mouillent le bout de leurs doigts, et font le signe de la croix. Les petits cris peureux ne manquent pas plus qu’en France, ni les domestiques bien stylées, tendant le peignoir pelucheux à trois pas de la vague, et je suis sûr que les autres plages du nord de l’Espagne, Bilbao, Santander, la Corogne, Gijon, Pontevedra, présentent, en ce moment, le même spectacle banal. Je ne sais pas, mon ami, si vous aviez des illusions à cet égard; moi, je n’en avais aucune. Mais il faut en prendre son parti : une Espagnole, dans l’eau, se trempe comme une Française.

Heureusement, du côté du palais royal, sur le sable, je découvre une file de curieux, rangés le long d’une corde, et un autre groupe, sur le quai, au débouché de l’avenue qui monte et contourne le château. On doit attendre la reine ou le roi, ou les infantes. Je sors rapidement et je me mêle aux curieux du quai. Je ne me suis pas trompé. Trois officiers de marine sont debout sur la plate-forme de l’escalier de bois qui conduit à la plage. Une baleinière, montée par une douzaine d’hommes, se balance à trente mètres du rivage. On a laissé glisser, à mi-longueur du câble, le chalet mauresque, blanc et bleu, mobile sur des rails, où sont les appartemens de bain de la famille royale. J’écoute si le bruit d’une voiture, dévalant la pente, n’annonce pas l’arrivée. Rien. Je me remets à considérer la longue bande de sable, de plus en plus envahie, sauf en face de nous, dans la partie réservée que limitent deux cordes tendues. Tout à coup, un mouvement de mes voisins, qui s’effacent le long du parapet, me fait me retourner, et je reconnais la reine, à quelques pas. Elle vient à pied, vêtue de deuil, élégante et marchant très bien. Le petit roi est à sa gauche, une des infantes à sa droite. Derrière elle, deux valets de pied seulement et deux grands lévriers qui sautent, l’un blanc et l’autre jaune. Tout le monde se découvre et salue. La reine remercie en s’inclinant; elle a le sourire intelligent, doux et triste. On la sent contente d’être ici, dans la liberté relative de Saint-Sébastien, contente des marques de respect qu’elle reçoit, et malheureuse au fond. Et, pour dire toute mon impression, j’ai cru lire bien souvent, sur le visage de jeunes femmes inconnues, la légende mélancolique de leur vielles trois mots que rien n’efface : « Je suis seule ; » et il m’a semblé les relire sur le front de la souveraine qui passait entre ses deux enfans. J’ai regardé aussi le petit roi, qui m’a paru très vif, très éveillé, tout autre qu’on ne me l’avait dépeint. Il a été très amusant quand il est arrivé à l’escalier de bois. Les trois officiers attendaient, immobiles. Il leur a tendu sa main à baiser avec un