plaisir, dit Ruskin, est surtout l’apanage des nations sauvages et cruelles (ornementations des Mores, des Arabes, des Indiens), tandis que l’art spécialement consacré à mettre en lumière des faits (comme celui des Primitifs) indique toujours un charme spécial, une particulière tendresse d’esprit. » — « Le plus grand art réalise la beauté, mais n’en fait pas sa fin principale, » ajoute M. Collingwood. La peinture anglaise a donc un but qui éclaire ses singularités, une idée de derrière la tête ou de derrière la toile, qui explique ses défauts, un programme qui n’est pas celui de nous montrer de beaux torses et de riches draperies, et l’on se convainc, en regardant les œuvres de ses maîtres, comme en lisant celles de ses critiques, que ce but extra-esthétique occupe une place considérable, — la première peut-être, dans leurs préoccupations.
Ce but est d’abord de s’adresser à toutes les facultés de l’homme : esprit, intelligence, mémoire, conscience, cœur, et non pas seulement à cette faculté de notre être qui voit, qui s’émeut par la vue et qui imagine. « L’art, dit Mme Barrington, doit élever par sa suggestivité, à une vue plus complète des conditions humaines que ne peut le faire la vie banale de tous les jours » et Ruskin dit que « l’art absolument parfait révèle l’homme tout entier. » Pour cela, il faut que l’artiste soit lui-même une intelligence complète. Il l’est. Vous ne trouvez pas, chez les Anglais, le grand artiste intuitif, ouvert aux sensations et aux sentimens de formes et de couleurs, fermé à tout le reste ; du moins vous ne le trouvez plus. Turner et Walker l’ont été. Mais aujourd’hui tous les peintres de valeur sont semblables aux artistes poètes William Blake, Bell Scott, Rossetti, pour l’étendue de leurs connaissances et de leurs sympathies. William Morris, le tapissier et le faiseur de vitraux, est présentement le plus grand poète de l’Angleterre et l’un des chefs du parti socialiste. Leighton parle toutes les langues. Burne-Jones, qui a passé par Oxford, est un exquis érudit de littérature légendaire. Watts est un philosophe. Hunt un exégète, Alma-Tadema un archéologue. Poynter fait des conférences comme autrefois Reynolds. M. Stephens et le regretté Ph. G. Hamerton ont toujours mieux écrit qu’ils n’ont peint. Millais et Herkomer expriment tous deux très brillamment des idées générales sur tous les arts et le dernier les a professées en chaire à Oxford. On est frappé, en causant avec quelques-uns de ces maîtres, de leur supériorité de culture sur la plupart de nos maîtres français. Toutes les questions qui s’agitent dans le monde ont un écho intelligent dans ces ateliers. Tous les souffles qui passent sur les foules font vibrer plus particulièrement ces âmes