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appareil de virtuosité vient de la vanité de l’artiste et sert seulement à détourner le spectateur du principal sujet. » Voilà pour ce qui est de « dissimuler l’exécution ». Quant à la touche grasse, la condamnation est plus explicite encore. « Jusqu’après le temps de Van Dyck et je pourrais presque dire de Rubens, vous ne trouverez jamais de barbouillage, smear, — cette caractéristique de tant d’œuvres françaises… Vous n’en trouverez jamais une trace dans mes tableaux ou, si vous en trouvez, vous pouvez être sûr que c’est que j’ai voulu l’effacer, avec l’intention de le repeindre. » Cette déclaration de guerre à la facture française n’est pas spéciale à Watts. Elle est de tous les maîtres anglais et signée de chacun de leurs coups de pinceau. L’horreur du smear les a conduits à une facture extraordinaire, qui a du moins cette qualité qu’elle est bien à eux et que personne ne songera à la leur prendre. Aussi quand M. Harry Quilter nous dit que « la facture de Hunt est la négation absolue de toutes les théories françaises, » nous ne pouvons que nous en féliciter. Sauf dans quelques tableaux de Leighton, d’Herkomer et d’Alma-Tadema, c’est presque partout une exécution lourde, petite, pénible, sèche, étroite, par touches drues, serrées, tight, où l’effort se sent, où la contrainte se devine, où la peine prise par le peintre se communique au regardant. Il semble qu’on voie une tapisserie laborieusement faite, dans l’exil, par un philosophe ou un mathématicien. On se redit les vers de la Chanson de la chemise ; Ce n’est pas de la toile, ce sont des vies humaines que vous portez là ! — Les Anglais le reconnaissent quelquefois. Dans une lettre écrite par Rossetti à Rell Scott, en 1859, on trouve ces mots très significatifs : « J’ai peint une figure à l’huile et j’ai fait un effort pour éviter ce que je sais être mon défaut habituel, commun d’ailleurs à la peinture préraphaélite, — le pointillisme des chairs. » — « il n’est pas suffisamment sensible au pouvoir de la brosse ; il semble trop souvent penser que si l’effet est juste, il importe peu comment il a été obtenu, » dit M. Walter Armstrong, de Millais. — « C’est étudié à l’extrême et, pour se servir d’un terme d’atelier, tight. Au point de vue du travail de la brosse, il a peu de mérite. Cela semble peint laborieusement morceau par morceau, » dit M. Quilter, de Hunt. — Cela ne semble pas seulement : cela est. Dans leur admiration pour les pratiques des maîtres primitifs, les préraphaélites ont confondu les procédés de la fresque avec ceux de la peinture à l’huile et se sont mis à peindre Jours tableaux, bout par bout, ne s’attaquant à une partie que lorsque l’autre est complètement terminée et pour ainsi dire, ne varietur. — Nos jeunes symbolistes, qui ne tarissent pas de quolibets sur un ou deux de nos maîtres