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remplissent de violet et une rangée de maisons prend l’aspect d’un palais de fées. Du pont de Saint-James’s Park, les bâtimens de Whitehall apparaissent au bout des eaux du petit lac comme un rêve. On croit voir le château que les géans Fasolt et Fafner bâtirent jadis pour les Dieux avec l’or du Rhin : c’est un ministère rempli de dossiers. Et pourtant les premiers plans ont à peu près toute la valeur qu’ils ont chez nous. Un ouvrier, un soldat qui passent, s’enlèvent en noir, en rouge, durement, sur ce brouillard coloré. Le fond étant plus faible, le premier plan semble plus fort. Il n’y a aucune relation, aucune transition entre les deux. Le choc violent de ces deux tonalités déconcerte la vue et fait perdre la notion des rapports. — Les peintres sortent-ils des brouillards de Londres et vont-ils en Écosse, par exemple, pour y chercher la couleur : la transition est trop brusque. Ils ont un éblouissement. M. William Black l’avoue implicitement lorsqu’il dit : « Certainement l’intensité des couleurs qu’on trouve dans les Highlands, spécialement quand le temps est changeant, la blancheur éblouissante des nuages, l’éclat pourpre des îles, dans l’ombre, l’éclat brûlant de la lumière solaire sur des galets d’un gris d’argent, le lichen jaune, les bruyères cramoisies et les ruisseaux couleur de thé, sont à la fois la joie et le désespoir du paysagiste et doivent provenir principalement de ce fait que l’atmosphère, au lieu d’être chargée de la brume d’un beau temps continu, est incessamment clarifiée par les rafales de l’Atlantique. Ceci doit aussi contribuer à l’intensité du bleu du ciel, qui est une sorte de bleu véronique et n’a rien de commun avec le bleu turquoise pâle des pays où règne un temps plus beau. » Et M. Walter Armstrong ajoute aussitôt : « Un automne passé dans un tel pays et passé non seulement en peignant mais aussi dans ces plaisirs virils qui induisent à la plus intime communion avec la nature, sont un bon correctif aux mois écoulés dans un atelier à Londres. » Mais M. Armstrong se trompe : le correctif est trop fort. Pour ces peintres qui vivent toute l’année dans un atelier noir, en face d’un ciel rayé de pluie dans une atmosphère telle que tous leurs tableaux doivent reposer sous verre, rien de pire que ces brusques excursions dans le soleil. Les couleurs aussi vives sur lesquelles ils se jettent aussi goulûment sont une nourriture trop forte pour leur imagination. — A plus forte raison s’ils vont en Provence, en Italie. Devant ces trésors de lumière, ils chancellent éperdus. On dirait des gens économes qui gèrent avec entente leur petit avoir et auxquels il tombe tout à coup un colossal héritage d’un oncle d’Amérique : éblouis, ils perdent la notion des valeurs. Ils gaspillent des millions, eux qui