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M. Quilter, pour mieux préciser, vis-à-vis de nous, le caractère des œuvres de Walker et de Pinwell, note qu’elles étaient « au rebours de l’influence française, fondées sur la couleur au lieu de l’être sur la valeur. » Ce mot fixe leur ligne d’horizon. Ce que les Anglais appellent faire de la couleur, c’est proprement oublier la loi des valeurs, le rapport des tons et tout ce qui, en établissant des gradations entre deux teintes, prépare l’œil à passer de l’une à l’autre, sans être blessé. On ne voit jamais apparaître dans leurs critiques l’idée de finesse, ni l’idée d’harmonie, mais toujours l’idée de vigueur. Qu’on se souvienne du succès qu’a eu, à Londres, la Doré’s Gallery ! Peu importe que ce soit dur, si c’est fort, et que ce soit faux, si cela brille ! Ruskin admet que l’on sacrifie toute la ressemblance de la nature à la brilliancy de la couleur. Les maîtres actuels sacrifient tout en effet et n’obtiennent pas grand’chose en échange. Les couleurs de Madox Brown et de Hunt feraient pousser des cris chez nous ; telles toiles de Millais de même ; tout l’œuvre de Watts, sauf sa Psyché de South Kensington, pareillement. À de très rares exceptions près, les couleurs de Burne-Jones ont un éclat faux qu’on qualifie là-bas de richness, mais qui, de ce côté-ci de la Manche, paraîtraient simplement du chrysocale. Au-dessous de ces maîtres, la virulence des tons devient tout à fait insupportable.

Au dire de Napoléon, les Anglais ne s’aperçoivent jamais s’ils sont battus. Cependant quelques-uns d’entre eux ont comme une obscure intuition que ce n’est point là le dernier mot du coloris, et M. Poynter, après avoir reconnu, sur ce point, la supériorité de l’école française, met en garde ses élèves contre cette splendeur de mauvais aloi, spurious brilliancy, que cherchent, au détriment de la vérité, des commençans, et même, ajoute-t-il, « des peintres expérimentés ». Et ailleurs, dans ses conférences d’Oxford, il parle des « crudités et des absurdités » de l’école anglaise. Mais ce n’est là qu’une voix dans la foule. Toutes les autres, et les plus grandes, acclament la bright colour. Si vous hésitez à admirer quelqu’une de ses plus étranges applications, c’est que votre goût est absurde ou votre logique en défaut. « Tous les grands maîtres ont peint en bright colour, vous explique M. Millais ; ils ont peint dans cette tonalité qu’il est de mode de décrier comme crue et vulgaire, sans réfléchir que ce qu’on applaudit chez ces vieux maîtres est purement le résultat de ce qu’on condamne chez les contemporains. Prenez par exemple le Bacchus et Ariadne du Titien, à la National Gallery, avec sa splendide robe rouge et son riche gazon brun. Vous pouvez être assuré que le peintre de cette éclatante robe rouge n’a jamais peint en