de leur imprévoyance ou de leur ignorance, la composition de nos voisins les Anglais. Tout chez eux a une raison d’être. Chaque bizarrerie a été longuement voulue et savamment cherchée. Car s’ils pratiquent tous les modes de composer, si parfois même ils ne peuvent échapper au mode classique, il y a quelque chose qui ne se voit jamais chez eux : l’absence d’intention. Même M. Herkomer a composé sa Dernière Revue et sa Charterhouse, en ce sens qu’il a très habilement varié les expressions de ses soldats et de ses pensionnaires, qu’il en a cherché et peut-être provoqué l’aspect le plus suggestif. Pour ne noter que ce point, il s’est au moins mis en face de ses personnages de façon à voir leurs yeux, et non derrière eux, de sorte à ne voir que leurs dos. Ceci paraît élémentaire : il est cependant fort peu de scènes données par la nature où tout le monde apparaisse de face, de trois quarts ou de profil. Les amateurs qui ont fait de la photographie dans les fêtes, les réunions publiques, à l’église, savent que la plupart du temps le meilleur du cliché est occupé par un ou plusieurs des : les dos des gens qui étaient tournés vers le point le plus intéressant de la cérémonie, — comme le photographe lui-même. Déblayer le terrain où l’on masse ses principaux personnages de façon qu’ils apparaissent de la tête aux pieds et les prendre de façon qu’on les aperçoive, non de profil pur, mais de trois quarts ou de face, — c’est déjà composer. Beaucoup d’artistes français d’aujourd’hui ne vont pas jusque-là. Ils font hardiment sortir du cadre, au bas de la toile, des dos de spectateurs de l’action principale qui, se trouvant au premier plan, occupent une place énorme et prennent tout le meilleur du tableau. Regardez les Victimes du Devoir exposées l’an dernier par M. Détaille ; vous remarquerez que les quatre personnages de premier plan, les plus considérables, ne nous offrent que quatre des et quatre casques : pas une physionomie, pas un reflet de leurs sentimens ou de leurs pensées… Au point de vue plastique, ce n’est pas toujours regrettable, — le beau tableau de M. Détaille le prouve, — mais au point de vue suggestif, ce procédé tue l’œuvre, parce qu’il la remplit d’objets ou de formes sans expression, — l’expression délicate, mystérieuse, résidant surtout dans les figures, dans les yeux. Multiplier les figures, les yeux, dans un espace restreint, c’est renforcer le sens expressif de la composition. Or qui le fait plus que Burne-Jones et son école ? Regardez ses Jours de la Création, toutes ces têtes pressées derrière l’ange au globe ; regardez son Miroir de Vénus et sa Tête horrible, ce ne sont que des prétextes à doubler, par le moyen des reflets, le nombre des visages. Regardez l’Acrasia de M. Strudwick, toutes ces figures de femmes
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