Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la guerre à des intérêts, à, des passions, à des périls contraires qu’il aurait dû dominer et qui l’avaient asservi, il changeait seulement de captivité, et touchant le fond d’un malheur désormais sans remède, son âme lassée se reposait enfin de craindre et de vouloir.

C’était assez, pour son châtiment, de se souvenir. Et la justice du sort sembla obséder à dessein son regard du mal qu’il avait fait ou laissé faire. La résidence qui lui fut assignée était le château de Bellevue. Il était situé en face de la presqu’île d’Iges où l’armée captive avait été conduite, et quelle nomma le Camp de la Misère. Les deux infortunes se touchaient, et ce reste d’empereur avait sous son regard les restes de ses soldats. 83 000 hommes désarmés, sans abris, dans la boue, sous la pluie, ayant froid de fièvre, de faim et de honte, attendaient quelques bataillons de recrues allemandes qui, inhabiles encore à la guerre, suffiraient à conduire en Prusse la dernière armée de la France. Et s’il élevait ses yeux au-dessus de cette douleur, il voyait les hauteurs du champ de bataille, le calvaire d’illy, autre demeure d’autres Français, qu’il n’était pas besoin de garder, qui n’avaient plus à souffrir, les seuls de cette armée qui ne quitteraient pas la patrie. Ils dormaient autour de cette croix qui vainement avait étendu sur les haines de deux races ses bras de pitié.


ETIENNE LAMY.