Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/358

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fin à la lutte. Mais si tous sont prêts à cesser le feu, nul n’en veut donner l’ordre ; chacun d’eux, sollicité de cette mission, se dérobe. Durant ces refus, les batteries allemandes continuent de leurs coups réguliers et suis à faire leur besogne dans cette masse qui a jeté ses armes. Et chacun de ces coups réveille la conscience de l’empereur que son ambition écroulée ne défend plus contre l’humanité. La durée du massacre lui devient intolérable. Parvenu à des sommets d’infortune qui sont plus hauts que l’orgueil, il prend pour lui la honte dont personne ne veut et ressaisit son autorité pour arborer le drapeau parlementaire.

Quand Wimpfen, tout chaud de la lutte, pénétra auprès de l’empereur, ne voyant que lui d’abord et pour se justifier de la défaite, il accusa, se plaignant de n’avoir pas été obéi. Ducrot, sur ce mot, s’élança vers Wimpfen : « De qui voulez-vous parler ? » et comme celui-ci, surpris, ne répondait pas : « On ne vous a que trop obéi », continua Ducrot ; et, soutenu par l’attitude des autres généraux, il reprocha violemment à Wimpfen la direction donnée à la bataille. En prescrivant à Wimpfen de se rendre au quartier général de l’ennemi, l’empereur alluma une seconde et non moins vive querelle. Wimpfen déclara que, le feu ayant cessé sans son ordre, son autorité avait été méconnue, qu’il n’en voulait pas garder le titre, et il donna sa démission. « Vous avez revendiqué le pouvoir quand vous espériez la victoire, reprit durement Ducrot, vous le voulez remettre pour échapper aux suites d’un désastre causé par voire faute, il est trop tard. » Cette fois tous les autres chefs de corps se joignirent à lui. Chacun redoutait que les fonctions abandonnées retombassent sur lui, et mettait à s’en défendre plus de passion encore qu’on n’en emploie d’ordinaire à l’obtenir. Et la dernière lutte de Sedan se livra, devant le souverain, entre ses généraux.

Enfin Wimpfen se résigna à traiter avec l’ennemi. Le lendemain, la convention fut signée. Elle livrait tout au vainqueur, la ville, le matériel, les armes et les hommes.

Ainsi finit le pouvoir de Napoléon III. Quand le roi de Prusse demanda si l’épée que lui remettait l’empereur était celle de la France, l’empereur répondit avoir rendu seulement l’épée du souverain. Lui-même se séparait de la nation. Traiter au nom de la France eût été un acte d’autorité et de foi : il avait perdu l’une et l’autre, et ne se sentait plus de droits. Il comprenait que, pour un Napoléon, être vaincu est devenir illégitime. Il signa son abdication en refusant de disputer à l’ennemi le sort de la France, car il dépouillait le privilège suprême du sceptre, la tutelle du peuple dans les grandes épreuves. Il n’était plus, il avait hâte de n’être plus qu’un prisonnier. Enchaîné d’ailleurs depuis l’origine