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permettait à l’armée de se dérober le long des bois jusqu’à Mézières. Pour le succès de ces marches comme pour le succès de la défense, il importait surtout que l’armée du prince royal fût maintenue sur la rive gauche de la Meuse. Mac-Mahon avait cru pourvoir à cet intérêt capital en ordonnant la destruction des ponts de Donchery et de Bazeilles.

A mesure que nos troupes débandées arrivaient, le maréchal leur assignait leurs positions. Lebrun, avec le 12e corps, fut placé au confluent de la Meuse et de la Givonne : le cours de la Givonne fut gardé par Ducrot et le 1er corps. Il arc-boutait sa gauche à la droite de Douay qui, avec le 7e corps et quelques brigades intactes du 5e, faisait face à l’ouest et couronnait la vallée de Floing. Le reste du 5e corps avait été laissé en réserve sous les murs de la place moins pour la défendre que pour se reconstituer : de Wimpfen, arrivé le jour même, en avait pris le commandement à la place de Failly. Le 31 au soir, toute l’armée était rassemblée.

En même temps s’offrait un renfort. Le gouvernement avait ordonné à Vinoy de diriger son corps d’armée sur Mézières et de se mettre à la disposition du maréchal. Vinoy, avec une tête de colonne de 4 000 hommes, était arrivé le 30 au soir à Mézières, et une de ses divisions y débarquait le 31 au matin. Il savait l’ennemi sur la rive gauche de la Meuse et par suite la grande route de Sedan coupée, il ignorait l’existence de la route tracée par les hauteurs de la rive droite, et ne croyait pouvoir communiquer avec le maréchal que par la voie ferrée. Le 31 au matin, il envoya par un train spécial un aide de camp et un bataillon de zouaves. A la hauteur de Donchery, une volée de mitraille salue le convoi sans l’atteindre, les zouaves ripostent par les portières sans qu’il s’arrête, et l’on arrive ainsi dans la place, où l’aide de camp demande au maréchal ses instructions. Si Mac-Mahon eût appelé à lui Vinoy, les 10 000 hommes et les 70 canons débarqués le matin à Mézières pouvaient, par la même route, arriver en une étape et le soir même à Sedan, et dans la situation où se trouvait l’armée, nul secours n’était négligeable. Mais pour ordonner à ses lieutenans ce qu’ils doivent faire, un chef doit savoir ce qu’il veut faire lui-même, et le maréchal ignorait encore s’il prendrait la route de Montmédy ou de Mézières. Il attendait que les mouvemens des ennemis lui donnassent une idée. Si l’on se rabattait sur Mézières, on y trouverait tout établi Vinoy non seulement avec la division déjà débarquée, mais avec les deux autres qu’il attendait encore ; et si l’on tentait une marche sur Montmédy, le temps ne manquerait pas pour amener ces 30 000 hommes de troupes fraîches. Car le maréchal croyait que l’ennemi lui laisserait au moins deux jours de répit. Il envoya donc à Vinoy pour seule instruction