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Que les Allemands apprissent le mouvement des troupes françaises à l’heure même où il commençait, le prince de Saxe pouvait précéder les Français à Montmédy, le Prince royal y arriver en même temps qu’eux : en ce cas nous n’avions rien à espérer. Mais que l’ennemi ignorât deux jours la marche des Français, le prince de Saxe seul les pouvait joindre, et ils avaient deux jours pour le battre avant qu’il pût être joint lui-même par le prince royal. La première condition du succès était donc que le maréchal dérobât sa marche. Une dépêche concertée entre lui et le ministre de la guerre annonçait la retraite sous Paris : on la fît intercepter par les Allemands. Le stratagème réussit, et le 25 au soir les deux armées ennemies occupaient un front toujours aussi vaste et toujours tourné vers Paris.

La seconde condition de succès était que notre marche fût rapide. Afin que l’armée ne fût pas retardée par l’obligation de pourvoir à sa subsistance, Mac-Mahon avait ordonné que les troupes porteraient avec elles quatre jours de vivres. Mais dès le soir de la première étape, il apprit que deux corps sur quatre n’avaient pas reçu les distributions prescrites et n’avaient pas à manger. Pour les ravitailler il fallait se porter sur un centre d’approvisionnemens : le plus voisin était Rethel, et pour gagner Rethel il fallut s’écarter de la route droite. Ce détour et le ravitaillement occupèrent toute la journée du 24, en partie celle du 25. Et le soir du 25, quand nous aurions dû toucher la Meuse, l’ennemi, par les rapports de ses reconnaissances et par des renseignemens venus de Belgique, apprenait notre marche et devinait notre but.

Sur ces indices, il résolut aussitôt ce qu’il avait à faire. Le prince de Saxe allait, avec la quatrième armée, regagner la Meuse, s’établir sur la rive droite, border le fleuve, en défendre le passage aux Français, et traîner en longueur, tandis que le prince royal avec la troisième armée, tournant au nord, s’avancerait à marches forcées pour tomber sur notre flanc et sur nos derrières. Quelques heures suffirent à régler l’ensemble et le détail de cette immense manœuvre, et le soir même les ordres d’exécution étaient envoyés pour qu’elle commençât dès le lendemain matin. Tandis qu’un élan ordonné et sûr pousse ces troupes dans leur direction nouvelle, notre armée se traîne vers l’Argonne. Comme sa marche l’expose à être attaquée même en queue, elle est obligée de garder au milieu de ses colonnes les bagages, qui d’ordinaire suivent les troupes ; ils encombrent les routes, ralentissent l’allure. La pluie, qui tombe depuis le départ de Reims, détrempe le sol et les énergies : le 26, certains corps ne font pas plus de 12 kilomètres. Le même jour, le prince de Saxe atteint la Meuse, et les vedettes du prince royal paraissent aux portes