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Parisiens, avait été reçue avec une ardente sympathie. Dès le surlendemain, quand il vit que, malgré l’investissement de Metz et la marche des Allemands sur la capitale, la régence persistait à éloigner de Paris notre dernière armée, il résolut de définir avec éclat, pour l’enseignement de la population et du gouvernement, les devoirs qu’il avait acceptés et le rôle qu’il ne consentirait pas à remplir. Sous prétexte d’expliquer un mot de sa proclamation que le Temps avait discuté, il envoya à ce journal un exposé de principes. Paris et le gouvernement pouvaient compter sur lui, tant qu’il s’agissait de défendre contre l’envahisseur la nation et l’empire compromis ensemble par la défaite. Mais il n’entendait pas devenir au profit de la dynastie, si par sa faute elle achevait sa ruine et la nôtre, le geôlier ou le bourreau de la capitale. « L’idée de maintenir l’ordre par la force de la baïonnette et du sabre, dans Paris livré aux plus légitimes angoisses, me remplit, osait-il écrire, d’horreur et de dégoût. » Ni le public ni le gouvernement n’étaient préparés à ce langage ; ils l’écoutèrent d’une oreille bien différente. Les hommes de liberté et de révolution accueillirent avec transports cette merveille d’un soldat qui n’aimait pas la force. Los ministres comprirent que ces paroles étaient un encouragement, volontaire ou non, au désordre.

On le lui marqua dans le Conseil, on le somma de montrer ses armes contre l’émeute, à laquelle il avait promis de laisser le sabre et la baïonnette au fourreau. Blessé du ton et de l’insistance, il se contenta de répondre qu’il connaissait son devoir et le saurait remplir. Puis, prenant l’offensive à son tour, il déclara que si l’on redoutait l’émeute il fallait ne pas la préparer par des fautes, que l’empire était à la merci d’un désastre militaire, qu’envoyer l’armée de Châlons à Metz était l’envoyer à sa perte, et qu’au lendemain de sa défaite nulle force au monde ne contiendrait la révolution. Comme il arrive d’ordinaire, les explications amenèrent les malentendus. On lui demandait du dévouement, il ne montrait que de la clairvoyance : on s’irrita d’avoir, au lieu du défenseur qu’on cherchait, un conseiller dont on n’avait que faire. De là le désir de s’en débarrasser s’il était possible, et la tentative faite à Courcelles par M. Rouher. Quand, le 23, Trochu apprit que l’armée ne revenait pas, il sentit toute l’amertume de l’abandon : il l’avait éprouvée déjà quand le corps de Douay, qu’il aurait voulu retenir, avait traversé Paris sans s’y arrêter. Derrière les remparts non encore armés, il avait pour toute garnison les 18 000 mobiles ramenés par lui et qu’il commençait à peine à discipliner. Il eut peur que cette misérable réserve elle-même lui fût prise et jetée de nouveau dans le gouffre où il voyait tomber toutes nos