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fût-ce par un avis, la liberté du maréchal, et s’en tenait d’autant plus à ce scrupule que son inertie y trouvait son compte. C’est donc le maréchal que l’homme d’État avait à gagner. Il exposa que l’abandon de Bazaine enlevait à l’empire ses dernières chances, que le retour de Napoléon III à Paris serait le signal de la révolution, que dans cette situation désespérée l’entreprise même hasardeuse sur Metz devenait la plus sûre, et que la véritable témérité serait de tout perdre pour n’avoir voulu rien risquer.

À ces instances politiques, Mac-Mahon opposa ses raisons militaires. Il dit que, responsable envers la France de nos dernières forces, il n’avait pas le droit de les compromettre dans une aventure où les mauvaises chances l’emportaient trop sur les bonnes. Il conclut en annonçant qu’il prendrait, le surlendemain 23, la route de Paris. Le ton avec lequel ces derniers mots furent dits marquait une résolution définitive et ne permit pas à Rouher d’insister.

Il se rendit de bonne grâce. Avec cette souplesse de talent qui lui permettait d’entrer comme chez lui dans les idées des autres, il parut acquis au retour à Paris et seulement soucieux d’en atténuer les périls. Pour cela il priait que, du moins, l’empereur ne rentrât pas à Paris avant l’armée. Il ne cacha pas que le général Troc lui, nommé gouverneur sans l’aveu des ministres, n’inspirait pas à tous une égale confiance. Il importait que cette cause de conflit disparût ; d’ailleurs, l’intérêt de la défense exigeait qu’un seul homme commandât dans la place et autour d’elle. On pourvoirait à cet intérêt en confiant, avec le titre de généralissime, toute l’autorité militaire au maréchal Mac-Mahon. L’Empereur ne lit pas d’objections, non plus que le maréchal. Rouher rédigea aussitôt les décrets et proclamations nécessaires. Impuissant à décider le mouvement vers Metz, il regagna Paris après avoir mis la dernière main au retour qu’il était venu combattre. Il rentrait de Courcelles comme Trochu de Châlons, chargé d’annoncer l’armée, le souverain, et porteur des ordres qui préparaient ces événemens. Mais il n’avait pas perdu toute sa cause, puisque, cette fois, Trochu du moins se trouvait écarté.

Le lendemain 22, Rouher fit connaître au conseil de régence les résultats de son voyage. Mais la régence s’était familiarisée avec l’insoumission. Elle répondit aux ordres de l’empereur par la dépêche suivante : « Le sentiment unanime du conseil, en l’absence de nouvelles du maréchal Bazaine, est plus énergique que jamais. Ni décret, ni lettre, ni proclamation ne doit être publié. Un aide de camp du ministre de la guerre part pour