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avait pénétré en Lorraine par la bataille de Forbach. La troisième, sa gauche, forte de 120 000 hommes, sous le prince royal, avait envahi l’Alsace par les batailles de Wissembourg et de Frœschwiller. La seconde armée, son centre, sous Frédéric-Charles, forte de 170 000 hommes, suivait en arrière le mouvement des deux ailes pour les relier et, en cas de besoin, les secourir[1]. La marche de la première armée avait refoulé nos corps sur Metz : après Frœschwiller la troisième armée perdit le contact de nos troupes, tant leur retraite fut rapide, et crut qu’elles aussi se retiraient sous Metz. Pour nous y suivre, ne pas se gêner dans leur marche en empruntant les mêmes routes, et arriver ensemble autour de la ville, les forces allemandes se dirigèrent sur la Moselle par une vaste conversion qui, amenant la première armée à hauteur de Metz, la seconde à hauteur de Pont-à-Mousson, la troisième à hauteur de Frouard, leur permettait à la fois de nous attaquer de front et de nous tourner par le sud. Dans ce mouvement la première armée, qui était le pivot, avait peu de chemin à parcourir pour atteindre Metz ; mais, comme il ne fallait pas qu’elle se heurtât seule contre nos forces, elle dut régler son mouvement sur celui de la seconde, et surtout de la troisième, qui avait à parcourir la plus grande distance et à traverser la région difficile des Vosges.

Le 14 août, la conversion était achevée, mais la seconde armée encore à une journée de la Moselle, et la troisième à une journée de Nancy, quand la première armée, qui arrivait à l’est de Metz en face de nos troupes, les vit lever leur camp et commencer le passage de la Moselle. Si elles l’achevaient, tout le mouvement des troupes allemandes devenait inutile. Il fallait retarder notre retraite, et la première armée seule était à portée de le faire ; mais, trop faible avec ses 60 000 hommes contre l’ensemble de nos forces qui montaient à 170 000, elle risquait d’être détruite. Voilà pourquoi Steinmetz le 14 août avait laissé franchir la Moselle à la plus grande partie de nos corps, avant d’attaquer les derniers, encore sur la rive droite. Parce que ceux-ci avaient tenu tête et gardé leurs positions, la bataille de Borny fut appelée un

  1. Les effectifs de ces trois armées devaient dépasser 100 000 hommes pour la première, 240 000 pour la seconde, et 160 000 pour la troisième. Mais au moment où le grand état-major ordonna la marche en avant, la concentration de tous les corps d’armée n’était pas encore achevée, et une partie de la IIIe armée restait détachée pour la garde du Rhin, de Bâle à Strasbourg. Dans leur marche elles laissèrent des corps d’observation ou de siège autour des places qu’elles dépassaient. Enfin elles diminuèrent par les combats. Ces vides furent comblés à l’aide des troupes nouvelles que leur envoyait régulièrement l’Allemagne, et de la frontière à Metz, à Sedan et à Paris, ces armées allèrent grossissant en nombre.